Le paysage froid et blanc des banquises force la langue à y guetter le moindre changement, à composer un lexique d’états changeants incorporés aux récits immuables des dieux, répétitifs, inépuisables. L’invisible maître est muet, sans souffle, le paysage austère, son peuple clairsemé. La langue s’hybride aux silences des lointains sans quoi la mobilité lente des nuits des aurores boréales l’aurait chassée. Les mots sculptent en creux la surface immaculée d’un horizon percé de séquences vivantes faites de bonheur, de disparitions, d’ennui.
Uggianaqtuq, écrit Glen Albrecht, désigne sur l’île de Baffin en langue inuite l’ami agissant étrangement, brusquement, irrationnellement, séparé, imprévisible. Ce terme s’impose à l’esprit inuit pour caractériser désormais leur environnement rendu méconnaissable par le réchauffement climatique.
Le terme d’Uggianaqtuq ne parle pas à tous ceux qui l’entendent, en particulier pas à l’ami agissant étrangement, à l’orgueilleux paranoïde qui l’avale bouche grande ouverte au vent. Uggianaqtuq est ce qui lui reste d’une gueule et du bruit de celui qu’il manqua d’étrangler. Il creuse les angles morts. Dans le miroir fendu petites ou grandes désolations reviennent au même.
Dans l’air lourd du pétrolier il médite son empire, éparpillant les plans, des grappes de souvenirs mélodieux entourent la lune couchante. Un paysage de papillons saouls saturé de chaleur.
Dans son vaste château il trouve le moyen de se cogner à tout et à se plaindre de ne rien retrouver. Il remue les glaçons au fond du verre de whisky, tournant le dos à la banquise de mer.
Gaïa est prodigue en surnuméraires, en bugs et chaos. Gaïa recrache, s’enlaidit, se purge. Dans le Hubei quelqu’un se tord de rire sous un ciel redevenu bleu.
