mon professeur de yoga littéraire

Quand je sortais épuisé de la rivière, il m’apparut pour la première fois sous les arbres de la rive où, pour ne pas avoir chaud, je me dirigeais. Ce n’était pas spécialement là qu’il habitait, c’est par hasard que nous nous sommes croisés, même si avant en d’autres endroits il était apparu, je ne l’avais pas vu, tout simplement.

Sûrement (curieux ces choses improbables dont on peut être sûr) si je ne m’étais pas imperceptiblement noyé dans le bruit du courant, et ne m’étais pas réjoui de m’ennuyer un peu, je ne saurais toujours pas qu’il existe. L’eau aux racines des arbres qui ourlent la rive produit une mousse aérienne, et les pierres y creusent, glissent, balayées par le courant. Je pensais sans plus m’ennuyer à maintenir cet état naissant d’ennui, à satisfaire le plus longtemps possible ce sentiment de ne rien faire, de n’avoir à penser à rien. Je ne gênais personne avec mon histoire de ne penser à rien, j’étais libre de n’avoir rien à changer de ce que je pensais seul dans ma rivière de galets, de ma bêtise, sous un soleil si chaud qui rend les âmes vivantes toutes entières tapies quelques part pour elles-mêmes en compagnie d’autres eux-mêmes, et je pensais depuis le début sans le savoir en fait à la mort, et averti alors je remontais le fil de cette pensée, je tendais le filet, je pensais à la mort, non pas à l’inaccessible, l’impensable, mais à celle lointaine, à celle de la mort collective qui vient à une vitesse sans commune mesure avec celle au bout de notre vie, et je m’imaginais, et c’est là que vint mon professeur de yoga littéraire. À cause d’avoir regardé longtemps l’eau les galets dans le courant c’est là qu’il me dit que la mort va changer d’âge, que des colonnes de jeunes personnes se donneront à la mort comme pour accomplir un privilège; pas besoin d’attentat. Imaginons dit-il le meilleur monde possible, le monde en paix derrière les murs, les bruits étouffés là où règnent de spacieux couloirs d’écrans aux salles d’attente des paradis à choix, des abeilles riantes bourdonnant remontant nos corps pour nous caresser l’esprit. Je voulus comprendre, revenir à moi, pendant ce temps là les canards cancanaient parmi les croassements des crapauds et récitaient une leçon sans fin, le professeur avait effacé ses traces, je partais rêveur et décidais de m’attacher, c’était la première leçon.

JoAnn Verburg, la preuve sans titre (Ping à La Fonti) © JoAnn Verburg 2013

___________ #8

Birds at Baran, 16th century

« aucun oiseau ne chante dans un buisson de questions »

(Lichen, lichen. Antoine Emaz, p 41, éd. Réhauts)

zones blanches

Charles W. Blackburne, [Photo Studio de Cooper et Curiosity Shop de Belgrave, Bridgetown, Barbade

sur les cartes les zones blanches gagnaient. nous devions passer chaque matin au levé dans la chambre noire, plonger dans un bain et remonter parmi des éclats de lumière éparses qui dans nos yeux à l’air libre dansaient un moment puis s’éteignaient, laissant légèrement abruti, étrangement encombré froissé d’une transparence mal ajustée. c’était la façon que nous avions de passer à travers la poussière de vents gris qui traversait les rues, de sortir de chez nous, passer les checkpoints et voir si le soleil. le temps devenait ce qui restait, pour autant n’en étant pas plus court. à bien chercher, l’ennui était à découvert, hôte nu sur le banc. tu apprenais à agrandir l’angle par lequel l’espace te parvenait, à tes pieds jusqu’au lointain le plus flou. les limites des choses qui arrivaient se multipliaient, alors tu t’allongeais, tranquillisé.

l’eau recueille

la terre le vent tombent s’écoulent, l’eau recueille, l’eau s’élève, l’eau se lève en silence, relie nuit au jour, grossit à l’horizon, l’eau tremble le vent, suspend la ronde des vols, plisse les nuages, l’eau recueille les restes du fracas des gels et des brasiers, l’eau disperse les vagabondes fleurs sans terre, l’eau recueille les nuages las et les sueurs de la terre, l’eau recompose les colonies égarées, l’eau perd la mémoire épouse tous les oublis, la pluie s’abat l’eau frétille, éblouit à perte de vue, l’eau lézarde, jaillit dans les grottes, glane les graines, s’abrite aux fruits, l’eau n’éteindra pas le feu, l’eau préférera la nuit

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météo du vent

Ce matin la météo signalait un défilement de nuages, un temps d’orage puis, de faibles averses, des courtes éclaircies, des vents forts et pluies en rafales — jusqu’au soir, puis calme et douceur. La radio n’avait pas prévu une succession et un ménage de cieux déferlants si mal agencés. Surpris comme tout le monde, nous nous regardions en chiens de faïence tirant têtus des humeurs noires sous cette pluie lourde et froide qui se répétait entre chaque orage apprécié quand on croyait de loin l’éclaircie, ses éclairs de nuit rageuse — tu as vu partir en aquaplaning deux voitures qui t’avaient dépassé et tu te demandes pas comment tu as fait pour traverser entre les débris qui volaient, glissaient sur l’eau, tu te souviens pas de tes pneus trop lisses. Mais le soir il faisait beau, beau et froid, du banc on voyait sur un panneau indiquée la présence d’un magasin monastique, de petits panneaux blancs plantés au sol fléchaient le chemin sous des arbres centenaires parmi les petits cailloux blancs de toute éternité, petit morceau de paradis entêtant qui se passerait bien des hommes. Il pensa aussi qu’une histoire telle le ciel d’un jour, arrive là, ou ailleurs, comme le vent : l’histoire est un grand râteau édenté manié par un bourreau au nez rouge.

activité bocagère du vent à l'ombre dormante d'une oasis
activité bocagère du vent à l’ombre dormante d’une oasis

 

Cygnus olor

conductivité du noir, lune blanche lune noire, cercle déplié du miroir
conductivité du noir, lune blanche lune noire, cercle déplié du miroir

 ~vhorr’ ~ vhorr’ ~ vhorr’ ~ le battement des ailes soulève et rabat l’air sur une parfaite ligne droite qui va peu à peu s’inclinant jusqu’au sol. Le cygne se relève, à pleins poumons son cou propulse, expectore une fois encore ce Vhorr’ ~ soufflé hors des narines, qui réveille l’intrus endormi dans le lierre.

Sur le pont au dessus d’un coté l’autre, au froid, au chaud, les jours dispersent les sujets tempérés qui s’y démènent, égayent leur fatigue, donnent de l’aise à demain, distribuent des ordres et des prix, diplômes et monnaies, sèment au petit vent la tempête à venir. De temps à autre entre deux averses un snipper masqué rejoue à qui perd gagne.