durées

Les objets si vieux, si lointains, les objets immobiles d’autrefois longtemps perdus de vue, avaient vieilli encore, lentement; maintenant ils semblaient si proches qu’ils collaient à l’air comme de la poussière, prenant toute la pièce. Car le corps avait vieilli plus vite que les objets endormis sur eux-mêmes, annulant l’avenir. Il resta supporter le silence et trouva l’élan pour sortir respirer au soleil. le regard chercha plus loin là où se reposer, sans y parvenir.

Une aire fantomale entoure nos rôles. Vie que les petites choses transportent lors de pauses interminables.

La place vacante laissée par l’être cher disparu s’est encombrée d’un corps, sans fonction, creusant un petit abîme. Les peurs changent de visage, chacun parmi les vivants s’efforce en vain, rien n’apprend. Marcher sur une rive parallèle, balayer les traces dans l’air. Rêvé: quelque part entre la forêt et la mer, une rue où l’unique maison n’existe désormais plus. Puis debout un corps dont le tronc est orné de plusieurs têtes, grande préoccupation, comment le coucher ?

L’avenir est une arnaque

Avant que ça ne vaille plus rien nous avons tout vendu. Mécanos de la machine. Le satellite s’est éloigné de la terre, la terre s’est éloignée, notre sentiment d’appartenance s’est délestée d’un savoir et des gestes propres à notre espèce. De la place pour mieux ranger. Comme la mort s’approche lentement nous entrons dans le présent infini. Des fantômes se croisent, ne se voient pas entre eux. Le temps n’appartient plus, à personne d’ici ou de nulle part, statique, en fuite.

d’une surface lisse et invisible

 

Il ne se voit pas, dans la lune, les miroirs ne le regardent pas. Il n’entre pas dans son visage, sans pour autant être fantôme, personne ne le remarque. Le rêve s’évade de l’image dans le miroir, bien y caler sa tête, y considérer son âge, assuré de le précéder, d’être inaltérable, à soi-même son propre sujet. À y toquer, l’image mentale du visage ne coïncide pas avec celle au miroir, où sont les apparences ? Dût-il s’y arrêter entre deux portes c’est une tête d’un autre âge. L’image est sans dimension et le cadre du miroir est flou, tout comme l’ombre incommensurable du réel qui le borde. L’image est le miroir qui réjouit ou repousse, aux dés jetés le dos tourné.

 

trompe-l’œil

 

L’ingénieur de la nature est un être agité et pressé, à peine penché sur sa vie qu’un petit singe imposteur l’éconduit. L’ombre plie avec un instant de retard. Par sage décision quand il en a le temps, s’il a désir à parler, il écrit son histoire, s’y contemple, s’y déteste, la possibilité lui serait-elle donné de la différer (défricher, ouvrir les clôtures), de s’y arrêter (parcourir le territoire chercher où on y dort le mieux), voire même de changer (et du coup s’y précipiter, y plonger) ses prédicats, ses intentions s’avèrent baroques, leurs portées ignorées, un hologramme sans image impossible à fixer. Ce qui est imaginaire c’est que ce ne serait rien. Un solitaire s’y retrouve avec un maître, un élève avec la foi, souvenirs et images associées, liberté à portée, la loi oblige l’histoire à apparaître en un éclair, en trompe-l’œil.

The End of the Road Movie, 2000, Tijuana, Fiorenza Menini.
The End of the Road Movie, 2000, Tijuana, Fiorenza Menini. https://www.fiorenza-menini.com

l’icône licorne

 

Les daguerréotypes embaument les utopies – boulevards et maisons vides, corps en mouvement, corps laissés allés, grenier tout installé. Longue pause, pause exclusive, lumière hors temps fixe l’instant, poids de l’immuable jamais vu.

Et puis d’une trace d’aube pâle, le reflet, la dorure des nuits. La fenêtre refermée, temps ramassé des souvenirs jamais eus, l’ombre éclairée, temps parallèle sans orientation fixe, pari sur des jeux faits depuis longtemps. Accélérer le dénouement.

 

 

intranquillité, lambeaux

Appris à vivre avec la crainte, à vivre ainsi, essayant entre deux alertes d’oublier, vivre d’oublier, s’y perdre dedans dehors, joindre les yeux au ciel, pas les mains, une guerre secrète, appris cet art que seuls les nés dans la crainte connaissent sans comprendre, art entré et appris aux heures creuses d’après-minuit, aux insomnies bordées de fétus de rêves, une partie de soi tapie silencieuse laissée comme alarme dans renfoncement, laissée derrière au plus loin, un art du lointain toujours là, prompt avant que, au dernier moment, fuir, un art perdu d’avance.

Pilgrim , Zanskar 1983, Richard Gere