point zéro

le vent tournoie dans ce recoin expulsant par saccades des odeurs de lilas, de fleurs de fruitiers, de fuel, de fumier. une assemblée de têtes percent un sarcophage géant où pullulent des chimères endormies couvertes de parures corporelles. les vagues comme les nuages de loin glissent sur les yeux. l’éternel retour fixe le point zéro. ici les chimères sont aux anges. on s’évade du labyrinthe.
dans ce coin retiré à la montagne où les horloges n’existent pas, dans la pierre la plus haute de la voûte du portail du monastère est gravé un soleil. d’un pas tranquille la ronde aux alentours faite de prières et de guets dure une heure.
les moines-horloges se relaient là depuis les premiers hommes, depuis cette grotte étendue par l’aile du monastère ou vingt-quatre disciples cohabitent.
chaque jour recommence à minuit pour le fidèle qui entame sa ronde qu’il a entrepris la veille à onze heures. le lendemain il commencera à une heure, il saute d’heure en heure comme les vingt-trois autres fidèles qui suivent à tour de rôle. l’avant l’après et le maintenant sont une triade, les quarts d’heure scandent le rythme. le livre des prières est constitué de vingt quatre chapitres. chaque prière dure une heure, chaque jour, vingt-quatre prières. les 8 760 prières annuelles sont réparties sur 24 chapitres dont chacun contient exactement 365 prières. la ronde annuelle arpente approximativement 40 000 km, c’est à dire un tour de la terre.

Roland Topor- Le Grand Livre

Esprit, es-tu là ?

Se passe-t-il quelque chose après la mort ? L’Esprit enfin saisi par lui-même ? Où cela se passerait-il ? Cela arriverait-il sur terre où tant il s’est entendu réclamé ? D’y répondre, ne lui serait-ce pas alors un supplice ? D’autant que défait de l’identité à laquelle il s’apparentait, tout serait alors à jamais méconnaissable: L’Esprit s’y perdrait, jeté dans une mauvaise farce, figé derrière un masque que tout le monde s’arracherait. Ou bien l’Esprit renaîtrait-il dans un endroit quelconque, paradis et enfer oubliés, dans un corps quelconque dont l’ombre serait l’esprit éternellement perdu ailleurs. Ne serait-ce pas alors que la mort n’a jamais lieu ?

reprendre

À peine élevée la splendeur tomba, sans possibilité de retour à l’état antérieur. La splendeur n’a pas tenu et a englouti avec elle son objet. Maintenant pour l’invoquer il faudrait du calme, s’arrêter, reprendre ses esprits. Comme jouer d’abord à être son propre chien, poursuivre les poussières qui s’élèvent à travers un rai de lumière. Redevenir le spectateur d’une pièce ou d’un film sans rien y reconnaître. La scène bouge tout le temps. On reste à laisser entrer les pensées, les images, les sons, les éléments, on laisse passer, on ne retient rien, on épouse un rythme, on résonne, contemple, on chute encore, la chute n’apprend rien, à chaque fois qu’on est sauvé recommencer comme on se lève. Le chemin, lors de sa renaissance, dit-il, sera exactement le même, mais le trajet sera en sens inverse. Ce sera sa punition éternelle, une boucle sans ligature. S’il veut jouer en chemin son joker, allonger la durée, ce sera tout de suite, affronter les vents contraires dès le départ, se réserver la plus petite chance de pouvoir revenir.

Claude Paradin, dans Devises heroïques, 1557

répétition

Le début, rétrospectivement, se voit confirmé, là à son point de départ. Ce qui arrive, dont rien ne laisse présager le déroulement, avance, au bord, un pied dans la nuit l’autre dans le jour, pour une durée inconnue. Nous voyons la tête nous ne voyons pas le corps, puis l’inverse, c’est l’histoire. Cette réalisation tient de correspondre avec sa forme initiale, toujours fragmentaire, aux innombrables creux et qui par sa construction aléatoire, précaire, est tout ce qui arrive, détaché de tout.

masse atomique

Le sol jonché de vieux chemins partiellement effacés, fausses pistes, chemins malencontreux se recouvrant les uns les autres de telle sorte qu’on appelle ce sol une escalade, montagne de laquelle du regard on domine l’horizon où on se jetterait de tout son long rien que pour le franchir.

Nous ne cherchons rien, nous discutons derrière les murs du silence de l’esprit, nous avons de la place, nous répliquons à l’échos, seul nous discutons, nous ne cherchons rien.

Tout est la même chose, l’Un, le début, ce dont on s’éloigne divisé. Le reste, un fond sans limite sur lequel les mouvements sont ceux d’un dormeur que le milieu métamorphose.

L’horizon départage ciel et terre, sans être ni l’un ni l’autre, n’existe que dans le regard. Vide, essaim de centres éclairs entre chutes verticales.

Takashi Yasunura. Nishihotakaguchi, série « Traçage de la nature » 2001

sans escale

In Зеркало ( le miroir ) • Andrei Tarkovsky, 1974

Passer malheureusement son temps à établir le temps qu’il ne voit pas passer. Décomposer à présent ce qu’il a pu observer devant lui. Saisir un équivalent de ce qu’il n’avait su voir. Devant lui reste la traîne de l’événement. Il s’arrête sur ce temps de retard pris. L’évidence comme le nez au milieu du visage lui explose à la face, elle sera autre la prochaine fois, tu ne sauras mieux voir. Une vie en direct de ce que nous projetons, pendant que le présent semble se réaliser d’un différé, comme un vide entre deux.

Durant le voyage les pensées qui surviennent sont le terme et l’éclaircie d’un écoulement. Sans avenir elles se recueillent pour ce qu’elles sont. En elles le présent et les rêves s’aiment. S’il s’agit d’une chasse d’où on revient bredouille, les terres traversées hier seront demain lieu d’une tuerie. Aucune mémoire n’y a pris part, rien ne s’y est inséré, rien ne s’y est renouvelé. Aux marges du paradis les insomniaques égarés butent sur des clochards allongés dans leurs rêves nerveux, maladroits.