Alice au pays / 2

Les figures rupestres campaient l’abri des hommes à la poursuite d’eux-mêmes et des animaux lors de chasses libératrices, hâtives et nocturnes, avant de déboucher sur l’horizon étouffant.

inflation du cloud

Encroûtée sur terre chaque nouvelle génération de clones immortels rend obsolète la précédente mise au rebut par mesure conservatoire, vieux immortels dirigés vers les secteurs recherches et développement, laissés vacants sur zones étendues de parcs acheminant sans prévenir vers des zoos, analysés au cas par cas de part en part, puis expurgés, public las, déplacés dans des musées, prisons dorées labyrinthiques, agents dormants sans fonction aux errances solitaires, génération dévalorisée à proportion de son inflation menant une existence concentrée et limite, obtuse, inutile, encombrante. Excepté le vent qui fait vibrer un instant l’air du labyrinthe, ou la respiration d’un rare visiteur, d’un nouvel égaré à l’identité dégradée, il ne se passe rien, chacun des survivants ayant rejoint son éternité. L’immortalité pré-programmée y avait l’air plus humaine.

jarred-old-tjikko @Christoffer Relande

diluvien

Tout se peut dans l’univers, même l’apparition du langage, dont la place ou la matrice de chaire n’était pas prévue. Images et mots recouverts en surface les uns des autres, sons, odeurs à raviver un mort. Des mots sur des images nocturnes, des mots travestis encerclent les yeux masqués.
L’histoire, on n’en sait que trop sans pourquoi nous échappe, au-devant surgit un animal aveugle, alerté du fond solitaire de son règne, un jour banal et décisif, électrisé par tant de chaos qu’un simple coup sur l’échiquier écarte. la mémoire prise de court n’en gardant trace qu’à l’effacer.

stelleena , sans titre

Pèlerinage

 

Désincarné il arrivait qu’il s’écroule en lui. Le paysage changeait. Dans la cour un tas de feuilles mortes en tourbillon se suivaient. Si absorbé dans sa tâche qu’en relevant la tête, le silence imposant, qu’il tape sur la table vérifier, est-il sourd ?
Il disparaissait si facilement qu’elle avait fini par ne plus s’en rendre compte. Pressé et impatient de partir, penché sur le plan, il oubliait de considérer le temps de la partie retour. Sur la table ses lunettes sont si petites et si loin, il lit à moitié, raccourcit le temps, empile les secondes, disparaît dans la montagne sous les brumes au soleil. À la fin de la nuit, purgé il réapparait.
Dans une autre vie il était occupé à résoudre tant de défis qu’ici il n’avait que le désir de se couper de tout, d’abandonner son autre vie, la sacrifier; son autre vie s’en porterait mieux, mais cela sans doute aggraverait son karma.
Dès le départ du train à peine assis il somnolait quelques minutes puis s’endormait, le bruit des rails le rendant autre. À chaque fois qu’il levait les yeux la réalité assommante les lui faisait se refermer très lentement, qu’il ne se débatte pas. Devant mère nature si proche du sommeil il aurait souhaité la disparition de tous (pas tout à fait de lui,  petit maître). Le voyage était propice à vivre par éclipse, à s’entraîner à ce sempiternel rendez-vous, attelé dans la nuit, assis sur le sol d’une classe à l’abandon. S’exerçant à l’éveil de la conscience, inspiré de l’unique fragment sauvé d’une antique école pré-yogique, de la somnolence et du sommeil, à l’art du balancement. Son centre de gravité variait tout le temps, même quand il était en miettes. Paré à l’apocalypse, sans urgence, sans nécessité de changer. Il faisait juste un peu plus froid.

Melchior_Lorck _ Tortue_au_dessus_de_la _lagune _vénitienne-1555

campagne / 3

 

C’est d’un fauteuil où les dimanches après-midi meurent sereinement dans les jeux d’eau des fontaines que nous nous levons pousser des landaus escortés de papillons. Avec une paresse d’aveugle-roi encore une fois nous passons devant du linge aux fils, du soleil du vent, des papiers-peints de pièces éventrées. Les nuages font une blanchisserie au-dessus du silence des villes dévastées.

Il y a un an j’étais ici à la cueillette des myrtilles. je compte ainsi le temps. Au retour je marchais dans les rues vides de ce bled groggy, la coupe du monde par les fenêtres ouvertes. L’équipe perdait car tout était silencieux, en mode mi-temps du monde présent.

Approcher les corbeaux fort nombreux dans le parc, c’étaient eux qui marquaient la distance, qui inscrivaient en fuyant la ligne de démarcation, notre présence de trop. Les grands vents froids et piquants les rapprochaient de la maison; dès que quelqu’un en sortait, ils disparaissaient longtemps. Les cyprès du cimetière s’en couvraient en grappe. Les longues averses sans eux inondaient l’étang.

 


 

Alice au pays 1

 

Tombant, le plus lourd réunit, l’apesanteur libère, au bout de quoi nous nous dispersons. À nos destinations d’infortune l’île de la téléréalité ruisselle, inonde nos rêves.
Dans la fièvre des jours nous regardions les hommes plonger, le plus courant le plus triste des spectacles, le plus inutile. La nuit dernière un rêve de paquebot en naufrage, les containers remplis de carcasses de baleines. À la lune absente des rêves orphelins la nuit d’automne renverse et avale la mer.

 

Éclipse solaire, Japon 1887