Ulyssis Aldovandi ou la peau du blason

  [Illustrations de Ulyssis Aldovandi § Monstrorum historia] sur gallica.bnf.

« Quand on a à faire l’histoire d’un animal, inutile et impossible de choisir entre le métier de naturaliste et celui de compilateur: il faut recueillir dans une seule et même forme du savoir tout ce qui a été vu et entendu, tout ce qui a été raconté par la nature ou les hommes, par le langage du monde, des traditions ou des poètes. Connaître une bête, ou une plante, ou une chose quelconque de la terre, c’est recueillir l’épaisse couche des signes qui ont pu être déposés en elles ou sur elles; c’est retrouver aussi toutes les constellations de formes où ils prennent valeur de blason ». Michel Foucault, Les mots et les choses, p. 55.

Il n’y a pas si longtemps les sirènes chloroformées de la fin de l’histoire conviaient à nous trousser les uns les autres au Loto de l’Avenir, à nous sourire au beau miroir, y apposer par son achat la marque du baiser de nos lèvres éternelles. En sus, à gogo, un masque gratos. La fin de l’histoire aurait eu des portes tourniquets et nos mains baguées bien plus belles, hôtes de purs diamants. A suivre une mise la majorité perd, elle l’annonce, la précède, la constitue déjà, c’est embêtant, chancelant tout ça, la fin de l’histoire nous a vraiment dépassé – l’immatérialité des mille dieux de l’argent l’emporte, faveur naturelle des coffres forts, les chambres à gaz n’ont pas d’odeur, les icebergs se retournent où des palmiers s’érigent. Tu joues à faire des châteaux de sable d’étoiles soudées par la poussière de celles qui ne sont plus.

Giacinto Scelsi-Ave Maria & Alleluja for violoncello solo 

Gareth Davis & Frances Marie Uitti: Stained

collier sans laisse

Sa tête dodeline, hoche, épouse sans heurt les nids de poule, le corps chevillé au milieu au pied du pare-brise, il pleut un peu. Les chiens passent aussi de la fenêtre aux chemins, vivants, à promener leur maître avec dignité, candide témérité, portant, supportant les codes les lois les instructions ; les admettent, assument par avance, d’un maître qui y obéit plié noyé dans le travail et ses discussions assommantes à propos de l’œuvre du saint esprit. La voiture est repartie dans la nuit, les maîtres bleuissent recouvrant leur esprit à comment gagner des millions. Seul de juste le recueillement se trouve dans le sommeil. Les bons dormeurs n’ont pas la vie plus facile, les jours s’effacent dans l’hiver. Etc. :


conscience des méduses

Jai toujours cru au progrès, à une frontière quelque part vierge, un repos, espoir de progrès sinon des hommes du moins de moi quand rien ne va, par orgueil modeste et mesquin.

Je me disais un titre, « ça ne commence pas », ou «  interruption », juste un titre, pas plus, sans dessous, pendant que sur la jetée mon regard continuait à plonger sur les méduses, sous mon nez, sans être bien certain d’elles, de bien les voir je veux dire, confondues à leurs robes de percaline, aux plissés repassés, dont la taille oscille en reflets, robe ou capuche –ici sortant une tête vague comme une cornée lente, une algue amidonnée. Effet loupe ou miroir, à s’y casser le nez, à couler en radeau. Je passais au café, il était tôt, il neigeait, le néon dans le miroir. Les bulles de ta bière s’éclaircissaient et remontaient avec lourdeur à la surface, au bout d’un temps se perdant de vue avant d’y arriver, pendant que tu avais en tête les vieux de la vieille cherchés dans les cafés à l’écart. J’aime la marotte de Resnais à rendre hommage aux méduses , « On connaît la chanson » dans « Je t’aime je t’aime », et dans « Cœurs » où elles sont de neige travesties.

Ne plus écrire ? pas encore tout à fait, sans cette canne je risquerais de ne même plus essayer de tenir debout, pas sûr que la vie en serait plus facile. D’une malle plus ou moins pleine, vide et brinquebalante, mal fermée, tombe des débuts, pleins, mais qui s’arrêtent vite, autre chose détourne, une agitation à vide, des sursauts, déporté par ce qu’on a cru se saisir, et pas plus à voir pour autant. Plus de temps, derrière effectivement rien « comme avant » pour y revenir, et là, de là, aller où ? des débuts qui n’avancent pas c’est quoi ? des horizons bouchés, des signalisations déréglées, des motifs d’un dessein qui se juxtaposent, désaxés, aux couleurs brouillées, délavées, des statues de pâques sans tête. Ce pourrait à la suite des débuts qui ne durent qu’une journée, jour après jour, l’herbe verte, le foin. Par exemple, d’une journée occupée à rendre et faire l’attente supportable, à favoriser l’émiettement des blocs, souffler sur les particules, précipiter l’obsolescence programmée— taire sa méchanceté.

Le jour encore se lève, c’est un peu étonnant, quelqu’un s’est levé tôt, ok, bien ; café, fauteuil, musique. Levé tant qu’il y a quelque part où courir, sans risquer d’être arrêté, de peur de ne plus reconnaître, ce, répit, jusqu’à ce que la nuit tombe, dormir recommencer, jusqu’au vacances, les petits tours. Il y a du monde dans la file d’attente, là de ne pas pouvoir être ailleurs. Un peu de lassitude, on fait le mort, sa part. L’honneur d’être venu trop tôt, c’était les seules places ; le souffleur assiste les acteurs frappés d’Alzheimer, allongés ou pliés sur des bancs : il saute par dessus, la salle est dans le noir, les paroles résonnent, font des boucles. Autre chose ? on se regarderait tout en étant ailleurs. L’œil humide consolé par les animaux qui passent à la TV, filmés dans les terriers, les galeries, les voies de migrations suivis par satellites – Endossant, réchauffant, la sève de nos mythologies tandis que, sur notre cortège, le vent ramenait des vapeurs tendres au son du trombone. Avec gratitude nous commémorions les futurs chers disparus.

Tu apprends qu’il reste avant extinction 700 gorilles des montagnes ; En 10 ans, 70% de leur population a disparu. Déjà sur les écrans tu les pleures. Tu les mets au pinacle, tu leur mets tes habits, tes pantoufles, vanité du simplet.

Dehors, des jours après que la bande était passée, ni projet ni belles lurettes à prendre goût à rêver, des jouets traînaient au fond du jardin. On aurait pu racler la rouille, la glisser dans des bouteilles, jouer de solutions chimiques, mélanger à du blanc, enregistrer des tracés, stopper des réactions, fendre la bouteille. Risquer de s’endormir à ce jeu de l’illusion et l’infini. Sur l’oreiller tu lis « Le Monde » : « Les scientifiques ont suggéré que l’évolution rapide des gènes de l’audition chez l’homme était liée à l’évolution du langage. Nos résultats jettent un doute là-dessus, car les gènes de l’audition ont évolué chez les gorilles à une vitesse à peu près équivalente à celle des humains ».

 

vieux animaux

Luxe, la photo est le luxe. Une façon de perdre son temps en petits cailloux blancs, de se leurrer de la fumée de terre en lisière. Petite revanche sur ceux qui arrivent, haletants, pris comme des mouches au ruban de glue dont la bouche clame les nouvelles du monde, un miroir qu’on aimerait brisé, soucis d’encore se déplacer on garderait le cadre, pour l’oublier un peu.

Consolation des raccourcis qui ne mènent nulle part. Faire plusieurs choses à la fois. Écouter Paul Jorion – Le temps qu’il fait, regarder les photos d’Isa Leshko, écouter  « Music promenade » (1964/1969) de Luc Ferrari, boire un verre, fumer, caresser le chat, oublier que je devrais être au travail.

À une époque déjà loin de l’enfance orpailleuse j’ai passé beaucoup de temps dans la forêt à chercher des crânes, qui m’arrêtent encore, sur les étagères un peu partout dans la maison. Des générations, des siècles, des millénaires des squelettes. Deviennent nobles les fossiles, à coté desquels les vaches sont couchées, ruminantes, s’échauffent, crounissent d’aise (rêves des grande migrations). Au légendaire ennui animal affleurent sans âme ni queue ni tête les fossiles saillants polis par le vent les eaux les passages animaux. Les exceptions à cet ennui sont légions bien que rares pour les animaux domestiqués, de compagnie, de spectacles zoologiques sous chapiteau grille ou réserves de safari, et véritablement exceptionnelles pour les cobayes que nous devenons tous, à défaut d’exister. Les cailloux les fossiles tintinnabulent dans la bouche. Les yeux de mon chat sont des pépites d’une pierre variable. L’ennui y est rare ou plutôt fourré dans le corps dont les siestes répétées le sauve de l’urgence. Le somme acquis l’ennui se dissipe, sans jamais savoir ce qui glisse du somme et quand le somme va l’ensevelir (la vie n’a que fiche des destins). Les animaux, forts peu discrets (quoiqu’anges à nos cotés) quand tous ensemble s’immobilisent, écoutent un drôle de silence quand on a lu et oublié, un jour celui d’éclipse de soleil. Peut-être que ça ressemble à une fleur blanche de nuit, à un dessert parleur. Leur acuité sensorielle et corporelle aux événements et catastrophes naturels servent de droit aux maîtres du langage d’aller y lire aux tripes le sang et l’or de l’avenir, dit-on. On fera, dira, tout des animaux. Peut-être que l’idée de dieu est l’idée d’y échapper. De mon jardin j’entends les animaux animer les conversations. J’ai la malchance d’avoir vu peu à peu ce qui était un champ devenir le zoo de nos jeunes voisins, deux puis trois puis sept chèvres et un mouton, puis deux cochons, des poules un peu paumées, deux chiens Shar-peï auxquels répond, de l’autre coté du grillage, d’un autre jardin, où vient d’être planté un âne plastique, une ribambelle de nains de jardins aux couleurs pétantes : de la causerie entre voisins j’apprends qu’un nouveau lapin, le sixième a été rejeté de l’aire pleine de cratères des primos lapins arrivants, et, qu’en attendant, pour « qu’il s’y fasse » dans un clapier enfermé, il grossit. « Non mais! ils l’ont attaqué, il a été attaqué ! » (…) « ah ouais c’est comme ça… ils savent les animaux ». Je relis A. Porchia: « Les choses ne sont pas ce qu’elles sont car si elles étaient ce qu’elles sont elles seraient toujours ce qu’elles sont ».