vieux animaux

Luxe, la photo est le luxe. Une façon de perdre son temps en petits cailloux blancs, de se leurrer de la fumée de terre en lisière. Petite revanche sur ceux qui arrivent, haletants, pris comme des mouches au ruban de glue dont la bouche clame les nouvelles du monde, un miroir qu’on aimerait brisé, soucis d’encore se déplacer on garderait le cadre, pour l’oublier un peu.

Consolation des raccourcis qui ne mènent nulle part. Faire plusieurs choses à la fois. Écouter Paul Jorion – Le temps qu’il fait, regarder les photos d’Isa Leshko, écouter  « Music promenade » (1964/1969) de Luc Ferrari, boire un verre, fumer, caresser le chat, oublier que je devrais être au travail.

À une époque déjà loin de l’enfance orpailleuse j’ai passé beaucoup de temps dans la forêt à chercher des crânes, qui m’arrêtent encore, sur les étagères un peu partout dans la maison. Des générations, des siècles, des millénaires des squelettes. Deviennent nobles les fossiles, à coté desquels les vaches sont couchées, ruminantes, s’échauffent, crounissent d’aise (rêves des grande migrations). Au légendaire ennui animal affleurent sans âme ni queue ni tête les fossiles saillants polis par le vent les eaux les passages animaux. Les exceptions à cet ennui sont légions bien que rares pour les animaux domestiqués, de compagnie, de spectacles zoologiques sous chapiteau grille ou réserves de safari, et véritablement exceptionnelles pour les cobayes que nous devenons tous, à défaut d’exister. Les cailloux les fossiles tintinnabulent dans la bouche. Les yeux de mon chat sont des pépites d’une pierre variable. L’ennui y est rare ou plutôt fourré dans le corps dont les siestes répétées le sauve de l’urgence. Le somme acquis l’ennui se dissipe, sans jamais savoir ce qui glisse du somme et quand le somme va l’ensevelir (la vie n’a que fiche des destins). Les animaux, forts peu discrets (quoiqu’anges à nos cotés) quand tous ensemble s’immobilisent, écoutent un drôle de silence quand on a lu et oublié, un jour celui d’éclipse de soleil. Peut-être que ça ressemble à une fleur blanche de nuit, à un dessert parleur. Leur acuité sensorielle et corporelle aux événements et catastrophes naturels servent de droit aux maîtres du langage d’aller y lire aux tripes le sang et l’or de l’avenir, dit-on. On fera, dira, tout des animaux. Peut-être que l’idée de dieu est l’idée d’y échapper. De mon jardin j’entends les animaux animer les conversations. J’ai la malchance d’avoir vu peu à peu ce qui était un champ devenir le zoo de nos jeunes voisins, deux puis trois puis sept chèvres et un mouton, puis deux cochons, des poules un peu paumées, deux chiens Shar-peï auxquels répond, de l’autre coté du grillage, d’un autre jardin, où vient d’être planté un âne plastique, une ribambelle de nains de jardins aux couleurs pétantes : de la causerie entre voisins j’apprends qu’un nouveau lapin, le sixième a été rejeté de l’aire pleine de cratères des primos lapins arrivants, et, qu’en attendant, pour « qu’il s’y fasse » dans un clapier enfermé, il grossit. « Non mais! ils l’ont attaqué, il a été attaqué ! » (…) « ah ouais c’est comme ça… ils savent les animaux ». Je relis A. Porchia: « Les choses ne sont pas ce qu’elles sont car si elles étaient ce qu’elles sont elles seraient toujours ce qu’elles sont ».