point zéro

le vent tournoie dans ce recoin expulsant par saccades des odeurs de lilas, de fleurs de fruitiers, de fuel, de fumier. une assemblée de têtes percent un sarcophage géant où pullulent des chimères endormies couvertes de parures corporelles. les vagues comme les nuages de loin glissent sur les yeux. l’éternel retour fixe le point zéro. ici les chimères sont aux anges. on s’évade du labyrinthe.
dans ce coin retiré à la montagne où les horloges n’existent pas, dans la pierre la plus haute de la voûte du portail du monastère est gravé un soleil. d’un pas tranquille la ronde aux alentours faite de prières et de guets dure une heure.
les moines-horloges se relaient là depuis les premiers hommes, depuis cette grotte étendue par l’aile du monastère ou vingt-quatre disciples cohabitent.
chaque jour recommence à minuit pour le fidèle qui entame sa ronde qu’il a entrepris la veille à onze heures. le lendemain il commencera à une heure, il saute d’heure en heure comme les vingt-trois autres fidèles qui suivent à tour de rôle. l’avant l’après et le maintenant sont une triade, les quarts d’heure scandent le rythme. le livre des prières est constitué de vingt quatre chapitres. chaque prière dure une heure, chaque jour, vingt-quatre prières. les 8 760 prières annuelles sont réparties sur 24 chapitres dont chacun contient exactement 365 prières. la ronde annuelle arpente approximativement 40 000 km, c’est à dire un tour de la terre.

Roland Topor- Le Grand Livre

temps zéro retranché

Au fond du ravin une rivière, une nappe d’eau en mouvement, son avancée ondoyante, vaguelettes flottantes qui s’écoulent tout en produisant leurs flux contraires, du dedans. Le courant creuse son avancée, assure les méandres de son horizon, rend le cours perpétuel, le temps à la renverse, comme les vagues adossées au lit qui se forme. L’eau creuse autant qu’elle avance au temps long des falaises. Les bords sont faits de vieilles vagues assemblées, les bords sont faits de rives franchies, d’autant de creux que de champs d’inertie.
Plus haut une pluie de brumes accélère le cours d’eau dont les limites s’évasent, se plissent, s’enfoncent en ramifications, s’étendent au-dedans, dans les airs.