usage du temps

Quand l’envie d’écrire me prend et tout autant celle de sortir, je glisse dans ma poche le dictaphone où « j’écris » en marchant. Comme cette façon empressée me désole souvent je préfère finalement ne rien faire, ou faire des choses à peine sachant quoi car sans importance, sans voir passer le temps. Mes tergiversations ont entre-temps inventées un autre tiers, l’appareil photo, j’écris donc moins encore. Je pourrais continuer comme ça, et d’autre part écrire sur l’enclume une sorte de roman : en ce cas je n’irais marcher que pour me reposer d’avoir tapé. Mais je n’aurais plus le temps.

Quand le temps et l’envie je transcris sur une page-écran les fichiers audio accumulés où perce l’indubitable résonance des trilles d’oiseaux et des croassements, des voitures, des bonjours, des avions, des enfants, du vent, etc. dans un flux sans faille balayant les amorces de rêves à la lumière, sans que rien n’ait à se raconter tel ce voyage immobile :

lire en dormant

allongé le jour durant sous la couverture, entrepris lecture de « fonds perdus » (T. Pynchon) entrecoupée de micro-siestes, histoire embarquée lavée aux embruns du rêve, ciel immobile qui déborde un peu quand les yeux fermés se réveillent, arrêts ralentis, mon robot lecteur d’en face ne comprend pas encore, je m’élève dans son estime mais sa présence fait barrage, il est tard, il n’a pas de paupière et semble dormir, jour nuit s’entrelacent à la proue, les brumes où l’île s’enfonce.

%22Untitled (Hateruma-jima, Okinawa), de la série %22The Pencil of the Sun%22 (1971)

mettre les voiles, journal du blog

Kas, Turquie, 2011 : Claire Massey

Deux ans et demi d’écriture ici. Vient le temps, pressé par le départ en vacances, d’écrire à la volée ce mot au blog, de lui répondre, m’y arrêter. Vient le désir d’une écriture à partir d’un centre, un centre flottant, une étendue, un point d’excitation et d’attraction. D’orientation des fragments-girouettes qui, à trop laisser faire, se dispersent, se perdent de vue, me décomposent.

Double mouvement. Fluidifier : d’une écriture qui prend au corps et d’une écriture, celle qui donne la distance, qui « stabilise ». Double mouvement dont les termes se diluent.

Une île, un repère, un amer, de quoi larguer de temps à autres mes chimères, mes fantômes, un lieu fictif où planter des trous de lumière qui tiennent lieu de focale, de dissémination, un point qui accorde au retour, au voyage.

Déplier les fragments, les détacher de leur boucle, de leur forclusion. Rêver une forme longue, lambeaux plutôt que fragments. À voir si ce désir me tient. En ce cas je me ferais plus rare ici, ou autrement.