« Les tyrans ont toujours quelque ombre de vertu. Ils soutiennent les lois avant de les abattre. » Voltaire, Catilina, acte I, scène 5.
Avec Chypre, le traitement scénarisé de la crise par la finance doit rallonger la sauce et réinventer dans l’urgence un dessert – la doxa s’étiole, le périmètre de sécurité qu’assure la politique envers la financiarisation du monde se fissure et les problèmes sociaux traités comme faits divers risquent désormais de glisser sur leur pente historique, la gangrène nationaliste. Mais c’est aussi une dernière chance pour la mémoire de se ressaisir.
La colonne des milliardaires explose que les chômeurs devancent en tombant – le dialogue ; règle d’or, c’est entendu – les produits financiers flambent de ce qu’une bande de pétés jouent les fantômes fiévreux avec des robots – bank-run, credit-crunch, crash rampent et les officines grandes gueules pullulent. Rappeler s’il le faut, que si les discours vacillent le bruit augmente, se muscle, quand bien même la fabrication des images rapporte que la neige tombe que le pape s’éclaire de fumée blanche, lui ou la pauvreté, l’injustice pensez donc… l’humanitaire s’en va en guerre…
tant qu’il y a un joker à jeter qui fasse danser les Danaïdes, ouvre des mers de liquidités à l’oeil, accroisse l’invisible, la distance infranchissable des puissants, entretienne l’illusion d’une vie politique souveraine: les hémicycles parlementaires se sont ingéniés à construire puis à masquer des logiques financières qu’ils ne parviennent plus, s’ils le voudraient encore, à identifier : leur dernier effort contre un temps qui décidément ploie et fuit sous les soubresauts de la mondialisation, sera de s’innocenter au prix du sang des peuples – mais là encore la recette risque de trouver boutique close.
La politique ayant disparue dans la communication, dans une morale de blanchiment du régime de prédation, les banquiers ont vu l’air de leur bouille s’effacer du miroir ; respectables planqués, dont il est dit combien ils prennent tous les risques, traversant les jardins de leurs amis dont ils rachètent à l’occase les bijoux dynastiques, louant, admettons, le sens du raisonnable et de la nuance, consentant en marge à quelques rappels à l’ordre, comme des enfants sages dont la grimaçante politesse gomme l’injuste grief – polis toujours, prenez-en leçon – véritables mannequins de l’accommodation aux formes, une image à voir dans le rétroviseur qu’ils ne regardent jamais : ce feu aux portes de secours fait désordre. Aujourd’hui Cahuzac bouche l’entrée aux rangs de gauche comme de droite agglutinés aux portes des paradis fiscaux.
Livrés à eux-mêmes les financiers sont des imbéciles de l’espèce la plus dangereuse. Saint-François ne les approcherait pas comme ça. Ils planquent un secret bleu comme l’eau de leur piscine, un truc privé, on dirait intime, couverte du mérite et par chance dieu y serait. La politique sert de jointure, portrait robot de figures aux styles disparates péchées du success-story de « l’opinion » rodée d’elle même du bout des lèvres, avec une frivolité bêtement dissimulée, d’un événement comme tant d’autres, lors des pauses cafés, devant l’évier et les pubs avant de partir, en cœur et apparat, esprit de sérieux et à la tâche, coincée tout de même aux entours des fables des machines qui la rive. La paroi vitrée des bunkers se confond avec le ciel, les ascenseurs à code sont merveilleusement silencieux, leurs lumières susurrent les espaces franchis.
On attend que les bourses dévissent et à force d’attendre le brancard de la démocratie branle sous le poids du cadavre du capitalisme financier, on aura la guerre, on aimerait se tromper, attendre sans attendre une ondée transcendantale de rien. On attend un signal d’opinion, des milices munies des slogans d’une loi d’airain, de libération de la politique, qui lui attribuerait le vaste et unique ministère de l’éducation et de la culture, cognitivistes et pharmaciens en tête, ou l’acteur se videra à coder le vent qu’entraîne sa feuille de route, selon l’ombre que les lumières dévient.
La barque se satisfera sans limite d’un junte avant de rejoindre le Titanic. L’histoire est un crâne sans mémoire, absent des livres, qui danse dans les alcôves d’un soir. Période des deals, des devis et du poker, de l’optimisme de rigueur, de mise à sac – la politique glisse là-dessus, s’éteint, le palais des glaces brisés resplendit, l’air du soir s’est épaissi, stagne, les fenêtres ouvertes n’apportent que le froid.
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Trois vidéos:
« LES PAYSAGES AFFECTIFS DU CAPITALISME CONTEMPORAIN » FRÉDÉRIC LORDON ET FABIEN DANESI
DOCUMENTAIRE – « QUAND L’EUROPE SAUVE SES BANQUES, QUI PAYE ? »