RUINS OF MACHU PICCHU by Martin Chambi

Dans cet Empire, l’Art de la Cartographie avait atteint une telle perfection que la carte d’une seule province occupait toute une ville, et que la carte de tout l’Empire occupait toute une province. Avec le temps, ces cartes démesurées ne furent plus suffisantes et les collèges de cartographes firent une carte de l’Empire qui avait la taille de l’Empire et qui coïncidait point par point avec lui. Moins attachées à l’étude de la cartographie, les générations suivantes comprirent que cette carte dilatée était inutile et, non sans impiété, ils l’abandonnèrent aux inclémences du soleil et au froid de l’hiver. Dans les Déserts de l’Ouest, subsistent des Ruines très abîmées de la Carte. Des animaux et des Mendiants les habitent. Dans tout le Pays, il n’y a plus d’autre trace des Disciplines Géographiques.   Suárez Miranda :Viajes de Varones prudentes, (1658) imaginé par J.-L. Borges, Histoire universelle de l’infamie/Histoire de l’éternité « De la rigueur de la science » p. 129-130.

Le réseau est notre cartographie dupliquée à l’infini par écrans et corps confondus, des courbes oscillent, des tuyaux dans lesquels on se déplace avec son petit monde qui fait de l’ombre. De là-haut l’accès aux informations est total, instantané, sans faille, où chacun, en petit cartographe, est la cible. Catégories et propriétés, goûts, contacts, finances, identité, déviance etc. définis. Vies privées cartographiées en lesquelles se creuse ce qui est possible et ce qui est interdit. L’identité est internaute. Le ciel fluidifie les déplacements de nos usines à machines et à aliments. Transparence et confidentialité – pour un monde de la loi où la vie privée devient anomalie. Le speech de Le Lay sur le temps de cerveau disponible a fait son temps. Ignore ton passé, entre ici, ton avenir ; le reste du temps réduit à ressembler peu ou prou au modèle. L’église a triomphé, l’espace sidéral n’a plus besoin des yeux, seul avançant dans la lumière rien ne pourra plus jamais arriver.

(3 commentaires)

  1. Si vous me permettez, Roma, une réflexion, toute spontanée, mais sincèrement ressentie.

    En toute sincérité, toutes ces affaires de privacité sur le net (comme la plupart des maux dont l’homme est obstinément serviteur volontaire), et du pouvoir du Big Brother, et qui m’ont certes intéressé, dans le cours même des choses, me paraissent personnellement ridicules, et particulièrement déplacées. Quand on s’inscrit dans un destin planétaire, quand on vit, selon la formule d’Edgar Morin, dans une Terre-Patrie, la seule question qui compte n’est pas de mesurer le degré de voyeurisme de « l’Etat profond », des périls d’une exposition de soi (sacro-sainte paranoïa de nos jours), mais tout simplement, comme Thoreau a beau à répéter, de persévérer dans la voie émancipée de la vertu, en la déclinant dans les langages qui le permettent, renonçant à ceux qui s’y refusent, et en se concentrant sur l’amour pour la vie, et pour tout ce qui est générateur et régénérateur de vie. Le reste… La perversité est une maladie contagieuse : celui qui en est l’objet finit par tomber dans le même reflex, mais dans le sens contraire : qui me surveille ? Non, ras-le-bol de servir avec une attention toute suspecte le feuilleton du regard pétrifiant de la Méduse – il me suffit de vivre, d’assumer tous mes choix, en lumière et à la lumière, même si cette vie était vouée – par symphonie d’idiotie humaine – au suicide, je préfère demeurer « nu » face à tous ces esprits pervers, et loin de tous leurs pièges de langage/regard malade. Ce n’est pas pour rien que dans ‘La Flûte enchantée’ de Mozart, l’on murmure, au passage, ceci : «.par la seule force de la musique, vous pourriez passer à travers la sombre nuit de la mort avec joie »…

    très amicalement

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    1. Cher Fayçal, votre optimisme est un peu celui du désespoir, que je partage partiellement, nous essayons de défricher d’anciens sentiers.
      Ce texte de Borges m’a bien sûr servi sur un plateau l’image de l’homme comme miroir de la carte.
      J’écris des fragments, au contraire d’un système il n’y a qu’à suivre à l’aveugle le fil des mots qui, s’il forme boucle, s’accomplit, se détache. J’imagine le Cyborg aux yeux creux heureux.
      Oui, Internet, tel que perçu par Sismondon, Stiegler etc. crée ses propres lignes de fuite, permettant des processus d’individuation. Mais l’inverse tout autant.
      La traçabilité du big data est une succession discontinue d’arrêts sur image : l’imprévisible plutôt que secours devient bête noire de l’histoire et du scientisme, et le futur se fait centrifugeuse de cette saisie infernale, recyclant rétroactivement une image pilotée à distance. Anticipation et goulet d’étranglement.
      Sans vie privée, vie secrète, pour soi-même, quid de la nature d’une vie publique ? devenir machinique ? (voir ce texte de J-P Vernant sur Hestia-Hermès. « Sur l’expression religieuse de l’espace et du mouvement chez les Grecs ».

      Après coup je lis ce que, Dans « Origines du totalitarisme – « Idéologie et terreur », Hannah Arendt écrit : […] Dans la conception totalitaire, la loi est l’expression du mouvement lui même. La stabilité, première vertu des lois en système légal, constitue sa négation en système totalitaire. Ainsi les régimes totalitaires mettent-ils en oeuvre un système de droit original dans lequel la loi du mouvement, érigée en norme absolue, est réalisée par la terreur. La terreur totale au service du mouvement. Le retournement dans la conception du droit réalisée par les régimes totalitaire se traduit par la mise en place d’un nouveau système de normes. […]
      Dans l’interface il y a un moment de réajustement, de stabilisation et thésaurisation des acquis, ce moment est de crise, dans le danger d’être détrôné ; reprise du contrôle, ordre de l’hégémonie à défendre. Il y a la question des frontières dématérialisées qui revient, de leur recentrement, et donc la question décisive de la guerre finale.
      Cette histoire d’Internet est indécidable en terme de pour et de contre, ce qui est consolant.
      Pour, exclusivement, c’est se projeter maître du labyrinthe sauvé dans un corps bionique, en Minotaure consentant à se faire arracher les yeux. Cyber-culte pour un tyran invisible, et bien réel (qu’il porte nom NSA ou de ses fidèles ou opportunistes en fil d’attente), qui se partage les frontières, où les masses jamais fixées sur la carte, en culture in vitro, toujours avec un coup d’avance, le triomphe démiurgique ; notre humanité en devient ridicule, et dédale clochardisé se cache de la nuit et du jour.
      Contre, une tentation, c’est se mettre sur la touche, sur le banc, ce qui n’est pas si mal, rejoindre un hors temps bien concret, en lisière, pas recyclable, mais bon… plus le temps, bonne journée!

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      1. Pour ou contre ? Mais non : il est question d’un positionnement qui ne peut être pris dans ce cadre-piège. L’approche est tout autre : sommes-nous victimes d’un pouvoir mille fois cernés (les penseurs du XXè et XXI siècle se sont bien affairés) ou d’une définition de ce qu’est notre propre identité ? C’est cela que je suggère. A mon avis, tant que l’on demeurera piégés dans une définition/conception d’identité (et donc du Moi) établie par la pensée-système occidentale, dont la cristallisation a lieu aux alentours de la révolution industrielle, basée sur une approche ontologique très particulière, très dépendante de la dichotomie identité-différence – comme Foucault le montre parfaitement dans ‘Les mots et les choses’ – et qui exclue la connaissance par la similitude, par la sympathie (comme ce fut le cas de latins et grecs – cf. Foucault encore une fois – mais aussi le cas de bien d’autres cultures), pour n’établir qu’une approche basée sur un spectre d’identités bien différenciées, incapables de retrouver leur point d’union si ce n’est que par le biais du fait matériel, approche ontologique se condamnant à une incapacité perpetuelle à savoir differentier entre le fou (celui qui ne sait reconnaître l’altérité, la diluant dans des similitudes délirantes) et le poète (celui qui sait la reconnaître, mais parvient à retrouver, au-delà des marques et des differences, un langage secret leur étant commun), incapacité condamanant la société à mettre en péril le principe de réalité et le sens, et en souffrir les conséquences (on en voit quelque chose de nos jours), n’importe quel positionnement ne peut qu’être équivoque : point de vue – se voulant critique, mais iréel – voué à se désintégrer en une spirale de concepts qui ne mènent à nulle éclaircie, à nulle issue, à nulle liberté. Le sujet cherche à défendre un concept d’identité qui n’a rien à voir avec sa vérité en tant qu’être, identité qui n’est qu’une construction d’ordre philosophique et historique, dont la généalogie peu être parfaitement établie, et qui, alors là, oui, est tout à fait totalitaire. Optimismisme du desespoir ? Non, plutôt s’inscrire dans une autre configuration.

        C’est ici que prend tout son sens le geste de Thoreau : la singulière renaîssance d’un Je.

        Salut !

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