Wilhelm Brasse, dit « le photographe d’Auschwitz » est mort le 23 octobre 2012 à l’âge de 95 ans à Zywiec, lieu de sa naissance. Pour survivre, garder la vie sauve, il accepta de photographier près de 50 000 détenus entre 1940 et 1943. Le délire technique et documentaliste nazi pré-écrit à la tronçonneuse le chemin de croix qui se retourne en fac-similé, fiévreusement branche les néons de l’horizon neuf : les boules de cristal tintinnabulent, les pendus se balancent au nœud coulant de l’origine, les pierres de fondation sont indéboulonnables, preuves et sacralité en self-service : l’inflation contemporaine de l’info-com’, des rapports de suivi et des réunions en portent la marque ; centres de tri du réel selon une hystérie de la représentation, où dès lors le temps neutralisé, débarrassé de ses scories, du malheur de la répétition, appartient au chef d’orchestre : en sortant de sa loge il éteint la dernière lumière du spectacle, et se réveille à midi en traînant des cadavres.
« J’ai dû faire de gros plans. Le Dr Josef Mengele me disait de prendre des photos de telle sorte que l’os de la mâchoire entière soit visible, je devais en faire de gros plans. J’ai fait les gros plans à la lumière dure, on pouvait voir à l’os », dit Brasse. « Plus tard, mon patron m’a appelé, et il a exprimé son bonheur avec les photos que j’avais prises, que je les avais prises au moment où il avait besoin d’elles ». Brasse s’essaya au sortir des camps au portrait photographique, mais ne put : « Chaque fois que je regardais dans le viseur, je voyais les jeunes filles juives. »
En 2005 le documentaire Portrecista (le portraitiste) de Ireneusz Dobrowolski, retrace sa vie.
« Ces jours-là, je lisais justement le récit de la mort de trois cent quarante juifs hollandais dans les carrières de Mauthausen. À l’arrivée du convoi, le lieutenant Ernstberger fait comprendre à Glas, un détenu politique qui est secrétaire de baraque, que selon les ordres, ils ne doivent pas rester en vie plus de six semaines.
Glas émet des réserves : condamné à trente coups de bâton, il est remplacé par un droit commun. Le lendemain, les juifs hollandais sont menés à la carrière. Au lieu de prendre les cent quarante-huit marches de pierres, ils doivent descendre par les éboulis abrupts. Tout au fond, on leur met une planche sur les épaules et, dessus, des blocs de pierres trop gros. Dès la première marche, les pierres glissent des planches et écrasent les pieds de ceux qui se pressent derrière. Chaque accident entraîne des coups. Plusieurs juifs hollandais se jettent du haut de la falaise dès le premier jour. Puis, neuf à douze personnes sautent ensemble en se tenant par la main. Les employés civils de la carrière adressent une réclamation aux SS : ils se plaignent de ce que les lambeaux de chair et de cervelle qui recouvrent les rochers ‘offrent un spectacle horrible’. Une équipe de travail nettoie les pierres avec de l’eau sous pression : désormais des détenus fonctionnaires montent la garde et toute infraction entraîne un châtiment exemplaire. On peut dire que le désir de mort est puni de mort. Et même ceux qui ne veulent pas mourir sont tués. Tous sont massacrés en trois semaines au lieu de six. » Imre Kertész, Le refus,p.46.