Bukowski: Born Into This

Born Into This

(version intégrale, Vostfr. Documentaire de John Dullaghan, 2003. Une critique ici )

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(Blue Bird)

il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui / veut sortir / mais je suis trop coriace pour lui, / je lui dis, reste là, je ne veux pas / qu’on te voie.

il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui / veut sortir / mais je verse du whisky dessus et tire / une bouffée de cigarette / et les putains et les barmen

/ et les employés d’épicerie / ne savent pas / qu’il est / là.

il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui / veut sortir / mais je suis trop coriace pour lui, / je lui dis, / tiens-toi tranquille, tu veux me fourrer dans / le pétrin ? / tu veux foutre en l’air mon / boulot ? / tu veux faire chuter les ventes de mes livres en / Europe ? / il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui / veut sortir / mais je suis trop malin, je ne le laisse sortir / que de temps en temps la nuit / quand tout le monde dort. / je lui dis, je sais que tu es là, / alors ne sois pas triste. / puis je le remets, / mais il chante un peu / là-dedans, je ne le laisse pas tout à fait / mourir / et on dort ensemble comme / ça / liés par notre / pacte secret / et c’est assez beau / pour faire pleurer, mais / je ne pleure pas, / et vous ?

Charles Bukowski – Avec les damnés, Grasset

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(Une réplique)

Les gens survivent pour finir avec les mains ouvertes pleines / de rien. / Je me souviens du poème de Carl Sandburg, Le / peuple, oui. / Belle pensée, mais complètement erronée: / le peuple n’a pas survécu grâce à une noble / force mais grâce au mensonge, au compromis et à / la ruse. / J’ai vécu avec ces gens, je ne sais pas très bien / avec quels gens Sandburg  / a vécu. / Mais son poème m’a toujours fait chier. / C’était un poème qui mentait. / C’était Le peuple, non. / Alors et maintenant. / Et pas besoin d’être un misanthrope pour / dire ça.

Espérons que les futurs poèmes célèbres / comme celui de M. Sandburg / auront plus / de sens.

«This rejoinder», in World Letter n° 2, Iowa City, 1991, page 3, traduit par Ph. Billé

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Site américain très riche sur Bukowski ici

Charles Bukowski – The Crunch

Trop grand
trop petit

trop gros
trop maigre
ou rien du tout.

rire ou
larmes

haineux
amoureux

des inconnus avec des gueules
passées
à la limaille de plomb

des soudards qui parcourent
des rues en ruines

qui agitent des bouteilles
et qui, baïonnette au canon, violent
des vierges

ou un vieux type dans une pièce misérable
avec une photographie de M.Monroe.

il y a dans ce monde une solitude si grande
que vous pouvez la prendre
à bras le corps.

des gens claqués
mutilés
aussi bien par l’amour que par son manque.

des gens qui justement ne s’aiment
pas les uns les autres
les uns sur les autres.

les riches n’aiment pas les riches
les pauvres n’aiment pas les pauvres.

nous crevons tous de peur.

notre système éducatif nous enseigne
que nous pouvons tous être
de gros cons de gagneurs.

mais il ne nous apprend rien
sur les caniveaux
ou les suicides.

ou la panique d’un individu
souffrant chez lui
seul

insensible
coupé de tout
avec plus personne pour lui parler

et qui prend soin d’une plante.

les gens ne s’aiment pas les uns les autres.
les gens ne s’aiment pas les uns les autres.
les gens ne s’aiment pas les uns les autres.

et je suppose que ça ne changera jamais
mais à la vérité je ne leur ai pas demandé

des fois j’y
songe.

le blé lèvera
un nuage chassera l’autre
et le tueur égorgera l’enfant
comme s’il mordait dans un ice cream.

trop grand
trop petit

trop gros
trop maigre
ou rien du tout.

davantage de haine que d’amour.

les gens ne s’aiment pas les uns les autres.
peut-être que, s’ils s’aimaient,
notre fin ne serait pas si triste ?

entre-temps je préfère regarder les jeunes
filles en fleurs
fleurs de chance.

il doit y avoir une solution.

sûrement il doit y avoir une solution à
laquelle nous n’avons pas encore songé.

pourquoi ai-je un cerveau ?

il pleure
il exige
il demande s’il y a une chance.

il ne veut pas s’entendre dire :
« non. »

 L’amour est un chien de l’enfer (Love is a Dog from Hell, 1977) – L’écrasement (The Crunch) —Traduction Gérard Guéguan — Ed. Grasset, Les cahiers rouges.