Pour surseoir à l’oubli des mots, car leur sens avait été perdu, comme on respire en nombre on répétait les blocs-phrase du programme. Leur répétition, pour ne pas rendre fou, appelait la rengaine et ses errements, obligeait à la fuite en avant. Nous les prononcions vite, tel un mot étiré, variant les intonations, surpris qu’ils fourchent encore et trébuchent, les recouvrant sans réfléchir de mots pris au vol, s’intercalant, écornés, effarouchés, entraînant parfois de désastreux lapsus, retoqués à la va-comme j’t’pousse pour les dissimuler, en course folle sauve-qui-peut. Des phrases impensables qu’un instinct de survie, de légitime défense, muselait, l’ignoble déchaînement, à l’abris dans le carcan protecteur des murs défoncés, la poussière et une vieille ombre éthique. Nerveusement aux pauses on se taisait, et dès le dos tourné la conspiration du silence reprenait. Nous rêvions en secret, les organes des sens enflaient, engorgés, ballants dans un espace déserté, croupi. Un rappel à l’ordre coupait court ce galimatias hébété, l’imposition de termes techniques remettait d’équerre la langue morte du privé, sous couvre-feux de lois martiales : un nouveau champ de vision édifié où s’engouffraient les hordes barbares, imposant au silence le joug de la désolation, noyant la flamme du sacré dans les ruisseaux de sang, plus tard sous la chaux métaphorisés en saignée dame-nature, oiseaux muets, et tout alors redevenait uniforme.
dans VENTS MAUVAIS
« …qu’un instinct de survie, de légitime défense, muselait… »
l’autre jour, aux portes du désert, sous l’azur pointillé d’étoiles tremblantes, hésitantes, je m’interrogeai avec deux lumineuses amies sur le sens, de nos jours, de cette bien ancienne expression : » l’instinct de survie » ; je me demandais si « survivre », de nos jours (j’y tiens à cette nuance), se limitait à demeurer dans de monde-là, tel qu’il est perçu, pensé, vécu : peut-être qu’un seuil s’impose, peut-être que » survivre « , de nos jours (j’insiste), soit tout autre chose que de demeurer parmi les radiations atomiques, produits chimiques, écrans à dépêches, schizophrènes à portefeuille, artistes de l’ego salarié, assassins à emploi variable (et souvent si… officiels), bref, parmi tous ces spectres à peau humaine ; peut-être que l’on parle, lorsque l’on prononce des expressions tels que ‘ instinct de survie » une langue porteuse d’un sens qui n’a plus de place dans un monde-planète ayant viré au simulacre de la « défaite/suicide en dansant » ; peut-être : on a cru entendre, en réponse, murmurer les étoiles, cette nuit-là.
plaisir fou de vous lire, Roma (je pige pas la moitié, et j’adore cela) – le verbe demeure(ra), ici et ailleurs. salut !
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Merci à vous, Roma.
En reprenant le fil, suite à la lecture de « La survie de l’espèce selon François Roddier », publié sur le blog de Jorion (et que votre fil Twitter a retenu), j’aimerai confronter ce qu’y est dit, c’est-à-dire le fait qu’il nous faudra compter avec « une prise de conscience collective » pour constituer « une société planétaire unique capable de contrôler son environnement » et qui débouchera sur « la formation d’une civilisation mondiale unique à économie stationnaire capable de controler l’évolution de la biosphère », qui n’est en fin de compte que ce que Jorion répète depuis un moment (et s’apparente, sous couvert de sauvetage d’espèce, à ce Nouvel Ordre Mondial à Voie complexe, diverse mais, globalement unique – comme nous martèle aussi depuis un temps le tendre Edgar Morin), confronter cela, avec ce qui est écrit en sous-titre de votre blog, à savoir : « Plus ce monde est fait par l’homme, plus le lien du monde et de l’homme est rompu » (Gilles Deleuze). Ce que je pointe est d’une telle évidence que je m’abstiens d’ajouter un quelconque commentaire à cet égard – ça va de soi.
Par ailleurs : quand je lis tout cela, je pense au piteux ethnocentrisme européen, croyant toujours que tout-le-monde-mondial pense comme lui, que l’on approche de pareille forme sa vie, son être au monde, alors que c’est loin d’être le cas et ce ne sera pas le maquillage d’un capitalisme que l’on aime supposer triomphant (le plus grand mensonge que l’occidental – dont je suis : gharb : occident, ma-ghreb : ceux-d’occident, maghrebi : occidental – se raconte à lui-même pour pouvoir croire que la chute qu’il a lui-même provoqué est bien générale : bien sûr le complot des média-zik-foot, des mafia-banquiers et de toutes ces guerres de ressources, de toute cette faim, de toutes ces humaines pulsions, s’obstinera à vouloir rendre vrai, vainement : nous sommes fous dans cet ailleurs du tiers-monde, complètement cinglés, arbitraires, chaotiques, donc parfaitement anti-capitalistes : on nous torturera, aliénera, rendra esclaves, ultra-capitalistes : l’autre demeure), un drôle de faux « triomphe » qui nous fasse croire que tout le monde sera au rendez-vous d’un « Sauvons la Planète ! »… alors là, la naïveté (très suspecte) occidentale demeure toujours la même.
C’est à se demander, par ailleurs, dans quel Brave New World l’on cherche à nous faire aboutir : faudra droguer les gens pour les faire basculer dans le contemplatif anti-croissance… mais pas trop pour qu’ils ne renoncent point aux jouissances de leurs corps (la souffrance étant devenue, on l’imagine bien, un dinosaure curieux à visiter-sentir dans un musée sur l’ère préalable à celle de La Joyeuse Voie – je recommande à ce sujet un conte de Lord Dunsany, celui-ci : http://bit.ly/1ikQgqZ). Heureusement, le monde, lui aussi tout aussi résolument anti-capitaliste (malgré les apparences) est complètement fou, délirant, déviant – et il nous réserve pas mal de surprises… que seule un regard humain, poétique, spirituel saura accueillir. Je laisse pour ma part « les chiffreurs de tout bord continuer à faire intelligemment le bien », il le faut, sans doute, sinon c’est le chaos, alors là total total (tiens ça rime avec pétrole), ça rendra toujours le monde moins atroce. Un gentil sourire est si doux toujours…
Saludos Roma (et ne m’en voulez pas trop pour tous ces mots : il fait beau là où je suis)
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bonjour Fayçal, j’ai un rapport difficile avec les considérations sociétales disons comme ça, bien qu’étant construit par ça, et avant ça, d’avoir grandi parmi les gens issus des bidonvilles. Je suis toujours attiré et curieux des positions de résistance, je vais là retrouver un peu de tonus, la possibilité de distinguer des ensembles, des lignes solides pour soutenir l’état du monde, le désencombrer, et aussi, faire comme je peux, continuer à me foutre de la vérité morbide jour après jour les mains dans ces bricolages. En deux mots constater que les résistances ne se font plus à partir de positions dialectiques. L’écran est total. Les résistances permettent de ne pas sombrer, mais ne sont évidemment pas suffisantes. Et il en va toujours de soi, d’une tentative folle, de ne pas être soi le barbare piégé du miroir. Bref je pense que ce monde n’ira qu’en accélérant sa décomposition dans la confusion la plus totale, et que ça ne vient pas de commencer…
(c’est drôle un ami qui vient de faire un entretien avec Keneth White m’a offert de celui-ci « l’Ermitage » — lu seulement qques pages ; retrouver une pensée de type « entière » et ouverte, ça fait du bien comme si c’était nouveau — / alors qu’à l’époque où K W commençait à publier je lisais tout de lui, et puis sans doute parce que sentiment que ça se répétait et que requis par d’autres centres, j’avais délaissé).
bel été !
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Oui, ça ne vient point de commencer… (rires)
Tenez – ça tombe bien et ça rejoint TC-Deleuze – ce que dit le grand K W (in En toute candeur) : « Ce n’est pas la communication entre l’homme et l’homme qui importe, mais la communication entre l’homme et le cosmos. Mettez les hommes en contact avec le cosmos, et ils seront en contact les uns avec les autres. »
On y est. A dopo !
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c’est touchant ce que vous me racontez là, merci !
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Oui, ça ne vient point de commencer… (rires)
Tenez – ça tombe bien et ça rejoint TC-Deleuze – ce que dit le grand K W (in En toute candeur) : « Ce n’est pas la communication entre l’homme et l’homme qui importe, mais la communication entre l’homme et le cosmos. Mettez les hommes en contact avec le cosmos, et ils seront en contact les uns avec les autres. »
On y est. A dopo !
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