La nuit du mercredi au jeudi après la Pentecôte [7-8 juin 1525 ], je vis en rêve ce que représente ce croquis : une multitude de trombes d’eau tombant du ciel. La première frappa la terre à une distance de quatre lieues : la secousse et le bruit furent terrifiants, et toute la région fut inondée. J’en fus si éprouvé que je m’éveillai. Puis, les autres trombes d’eau, effroyables par leur violence et leur nombre, frappèrent la terre, les unes plus loin, d’autres plus près. Et elles tombaient de si haut qu’elles semblaient toutes descendre avec lenteur. Mais, quand la première trombe fut tout près de terre, sa chute devint si rapide et accompagnée d’un tel bruit et d’un tel ouragan que je m’éveillai, tremblant de tous mes membres, et mis très longtemps à me remettre. De sorte qu’une fois levé, j’ai peint ce qu’on voit ci-dessus. Dieu tourne pour le mieux toutes choses. Journal de Dürer
Tiens, tiens… il a plu cette nuit (et beaucoup), à Tanger – drôle de printemps… La pluie, la pluie qui vient, qui est venue, qui est là – c’est vrai qu’il y a une belle rosée dans l’air ces temps-ci (oui, oui… souvenez-vous que je demeure, et demeurerai «aveugle»… et avec joie). L’air est, ce matin, humide, frais, doux, enfant.
Sciascia, dansant autour d’une gravure de Dürer (dont on pourrait voir en ‘La Nuit du chasseur’, de Laughton, l’inquiétante réplique cinématographique), est l’auteur d’un livre, ‘Le Chevalier et la mort’, dont je vous invite à lire ce court extrait : http://bit.ly/17sYprY – courtoisie infinie de la Rue des Douradores.
Salut !
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Dürer visionnaire j’en suis sûr. Pour moi ça métamorphose quelque peu ma souffrance en replis de l’âme, avec dedans la caverne et comme dernière image la bougie dedans la chambre. Quelle chambre ? La chambre des morts, je n’en vois pas d’autre. Calme et sereine la flamme si possible à cet instant-là.
Puis ma mémoire s’élance vers un autre peintre, Vincent van Gogh, avec une bougie sur une chaise en paille. À la limite faisons-nous plaisir ; disons un bourgeois en lieux et place du bougeoir. Voilà la grande puissance des peintres, celle de nous faire goûter aux choses, de nous tremper dans la matière, d’envoyer un signal qui peut être autre chose qu’une sordide urinoir. Je ne sais pas moi ! disons une pièce calme, avec un rayon de soleil oblique en été dans la fraîcheur de l’ombre à l’écoute du microcosmos des insectes, eux-mêmes dans les replis de la beauté sensuelle des fleurs, l’incroyable richesse des formes. Ré-enchanter tous les curés du monde ? Ne nous faisons pas d’illusions, le concept-matraque est dans la main du matraqueur depuis votre enfance.
J’ai le sentiment qu’ici et maintenant les mots de Dürer font écho à l’espace violent et déchiré qui est le nôtre aujourd’hui non ? D’ailleurs, je peux rester très pragmatique en disant par exemple que l’espace visuel, mais surtout acoustique, est déchiré par la violence sonore du moteur à réaction, véritable calamité contemporaine.
Je ne vois qu’une seule figure tragique dans le monde ; celle qui est SANS MOTEUR ou sans ressort comme un Oblomov. Mais j’avance sur des oeufs et je peux me tromper.
C’est pourquoi je regarde avec une très grande mélancolie l’aquarelle qui accompagne le texte d’A.D. Une sorte de tranquillité malgré tout. J’imagine le peintre qui après avoir fait un tel rêve, caresse la page avec l’eau du rêve, de son rêve. Je crois que la poésie c’est le maximum de concentration, tout l’univers, de Sirius jusqu’au moindre brin d’herbe devient comme un entonnoir enfoncé dans le crâne du torturé – toute une vie en brûlures d’estomac en quelques sorts.
La vie ne vaut pas la peine d’être vécue sans Amis ? Sans doute que non.
La vie ne vaut pas la peine d’être vécue sans Musique ? Sans doute que non.
Et aussi comment la vie peut-elle s’épanouir dans un espace-temps véritablement broyé à la moulinette de nos vanités ?
Il y a une très belle réflexion de Marguerite Yourcenar dans « Le Temps ce grand sculpteur » intitulée : Sur un rêve de Dürer.
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A vos très belles pensées je ne rajouterai, si vous permettez, que quelques petites dissonances que j’entends, en lisant vos mots :
– Ce souhait / désir (occulte, inconscient) de curés à ré-enchanter, ou de pulsions-matraques à déceler, dont vous parlez, est parfaitement absent, dans la mesure où le silence efface tout le vain labyrinthe-langage de «l’être-ensemble». On s’adresse au silence.
– S’adresser au silence, s’émanciper de ce vain désir d’un « autre » imaginaire / imaginé / imagé, en tant que partenaire privilégié d’une écoute. Le silence le porte déjà – si le vrai, horizon perpétuel, est recherché.
– Il n’y a point de bruit (moteur ou autre) dans ce monde – il n’y a que surdité, ouïe éclatée, dispersée, orpheline.
– La seule vanité est «une certaine» mémoire. Le seul épanouissement, «un certain» oubli.
– L’amitié et la musique sont une même chose. Et un miracle.
– Oui, il n’y que le Temps qui sculpte…
Et ces mots qui me viennent à l’esprit. Henry David Thoreau : «What you get by achieving your goals is not as important as what you become by achieving your goals»
Demeure, donc, la peinture, la marche, le silence, le rêve – et ce bleu.
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