«Il est deux péchés capitaux humains dont découlent tous les autres : l’impatience et la paresse. À cause de leur impatience, ils ont été chassés du Paradis. À cause de leur paresse, il n’y retournent pas. Peut-être n’y a-t-il qu’un péché capital, l’impatience. À cause de l’impatience, ils ont été chassés, à cause de l’impatience, il n’y retournent pas».
F. KAFKA, Considérations sur le péché, la souffrance, l’espérance et la vraie voie (in Journal intime, p. 247-248)
Et moi qui croyait (avec Héraclite, Nietszche, Pasolini et tant d’autres) que le seul vrai pêché de l’homme avait été d’avoir conçu, imaginé, un malheureux jour, le mot « pèché », le « sens » du mot pêché…
(On va passer toute notre vie à chercher un Paradis perdu, à réclamer un Eden, un monde juste et équilibré, alors qu’il est temps que l’on accepte que le monde ne peut être ni édénique ni encore moins paradisiaque… Tout Eden, tout Paradis, ne peut-être qu’ailleurs… dans le domaine -invisible, immatériel- de l’Esprit)
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Kafka a t-il la foi? Kafka détruit ou déglingue toutes les grilles de lecture, de prédisposition, d’élucidation, comme autant d’expédients de vérité, de débats indécidables – la mise au point ne se fait qu’en franchissant un doute, tout contre, abandonnant les tours des enjeux ressassés, les masques, les impostures d’arlequins – avant tout lire Kafka c’est rencontrer le bonheur singulier d’une langue étrangère ; les choses n’étant plus les mots, ou par d’autres se découvrant, l’esprit nomade réapprend à nommer, il hasarde, répète trahit et transmet des décombres ce qui reste d’un geste, restes d’une forme vive, d’un combat, d’une arrête, la syntaxe suivant le cours de modifications des termes. Il dit impatience pour dire paresse, impatience, il dit péché primordial, les autres étant seuls indifférents séparés innombrables. C’est une pratique langagière tout contre, afin de se dégager, faire advenir des puissances d’agir, travaillant les termes de ce qui nous compose pour nous en affranchir, continuer d’écrire, ou trouver une issue.
Avec Kafka rien est ne va de soi, même pas l’innocence (ni son envers, son travers, la culpabilité) ni la fixité de l’esprit ou de la lettre, d’évidence rien ne s’oppose à l’arbitraire, rien qui le démêlerait. Kafka décape la séparation, la montagne d’ordures entre dieu et les hommes, les catégories culturellement opposées : élection/condamnation… les machineries piégeuses qui s’en nourrissent. Kafka débarque en ayant oublié sa valise dans les cales, parce que tout à remercier la mer houleuse, pré-mythologique, aux portes du jardin sauvage.
Un péché sans sa gangue, sans plainte, c’est quoi ? petite bougie ou spire qui éclaire ce lien à priori paradoxal entre paresse et impatience, l’attention étant retenue par ce qui se meut entre elles… à vous de voir, patience !
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« Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie se tienne prête à côté de chaque être et toujours dans sa plénitude, mais qu’elle soit voilée, enfouie dans les profondeurs, invisible, lointaine. Elle est pourtant là, ni hostile, ni malveillante, ni sourde, qu’on l’invoque par le mot juste, par son nom juste, et elle vient. C’est là l’essence de la magie, qui ne crée pas, mais invoque.
(…)
Violente averse. Mets-toi face à la pluie, laisse ses rayons de fer te pénétrer, glisse dans l’eau qui veut t’emporter, mais ne bouge pas, reste droit et attends le soleil qui va couler à flots, subitement et sans fin. »
(…)
« Connais-toi toi-même ne signifie pas : observe-toi. Observe-toi est le mot du serpent. Cela signifie : transforme-toi en maître de tes actes. Or, tu l’es déjà, tu es maître de tes actes. Le mot signifie donc : Méconnais-toi ! Détruis-toi ! c’est-à-dire quelque chose de mauvais, et c’est seulement si l’on se penche très bas que l’on entend aussi ce qu’il a de bon, qui s’exprime ainsi : Afin de te transformer en celui que tu es. »
(…)
« On peut fort bien imaginer que la splendeur de la vie existe autour de chaque homme, dans la plénitude, entière et toujours prête, mais voilée, en profondeur invisible, très éloignée. Elle est là, ni hostile, ni rétive, ni sourde. Qu’on l’invoque par le mot juste, alors elle apparaît. C’est le caractère de la magie, qui n’est pas création, mais invocation. »
(…)
« La vérité est toujours un abîme. C’est comme quand on apprend à nager ; on est sur le tremplin étroit et instable de l’expérience quotidienne, et il faut oser sauter et disparaître dans les profondeurs, pour ensuite – reprenant son souffle en riant – resurgir à la surface des choses, qui dès lors est doublement inondée de lumière… »
Franz Kafka, Journal (Patience maintenant. Patience encore… http://bit.ly/XjkdOh)
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Tiens, j’ai pêché d’impatience, et cité deux fois (sous différentes traductions) le même passage…
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