Codex Seraphinianus, Luigi Serafini, 1981 édition Franco Maria Ricci

« Les métaphysiciens de Tlön ne cherchent pas la vérité, ni même la vraisemblance: ils cherchent l’étonnement. Ils jugent que la métaphysique est une branche de la littérature fantastique. Ils savent qu’un système n’est pas autre chose que la subordination de tous les aspects de l’univers à l’un quelconque d’entre eux.» J-L. Borges, Tlön Uqbar Orbis Tertius.

« Délire laborieux et appauvrissant que de composer de vastes livres, de développer en cinq cents pages une idée que l’on peut très bien exposer oralement en quelques minutes. Mieux vaut feindre que ces livres existent déjà, et en offrir un résumé, un commentaire » . J-L. Borges, (prologue au Jardin aux sentiers qui bifurquent.)

 Le CODEX SERAPHINIANUS  (Luigi Serafini, Édition Franco Maria Ricci-1981) voyage sur du papier. À chaque station, derrière chaque existence se marie un rêve, une saillance, une belle de nuit en toute inconscience prodigue en apparitions éphémères (retournées, pétries, croisées, fertilisées par des hôtes diurnes), se rèveille le matin, recouverte par la dune qui sera son foulard, croisant le destin de la liane devenue cactus. Codex de tabula rasa ou traînent des fils des écorces d’une ligature entre deux objets apocryphes qui sortent la raison de son sommeil en vol stationnaire, pour un surf hypnagogique. Codex d’une langue indéchiffrable, calligraphie instable offrant l’avantage qu’aucun esperanto ne s’y greffe. Plus spectateur que lecteur, plongé roulé dans une flore une faune et toutes sortes d’éléments naturels et étrangers, dans la réminiscence de rituels carnavalesques, d’une matrice naissante. Déambulations sur le feuilleté des territoires à la Leo Lionni, Ovide, Bruno Munari, Edward Lear, Jheronimus Bosch, Ulyssis Aldovandi, le Manuscrit Voynich, Albert Marcoeur, Claude Ponti, Raymond Queneau, Orwell, Proust etc. etc., et esprit d’escalier, G. Perec, Cervantès, etc.

La langue farfelue de Luigi Serafini a l’avantage de ne répondre à aucune traduction : nul codex, translation, pas le moindre souci d’exhaustivité car le monde est si singulier, si idiot, tellement actif, contradictoire, inattendu. C’est un vocalisation  lettriste dans la bouche d’un muet, une glossolalie Kobaïa à la Magma privé de son ou de phrasé, une marelle dans un labyrinthe, un verbe qui se fait nom et inversement, ses attributs portés supportés au hasard. Pied de nez à la langue qui offre un piédestal aux dessins, parfois grotesques ou coquets, à la vérité bancale, lisible palpable et illisible, plus changeante qu’un calendrier, qu’un ciel de juin Islandais. Sa graphie archaïque solide liquide gazeuse prospère entre les créatures et leurs messages, dont l’ombre et la destination changent chaque jour sans avoir à tourner la page : la créature se retourne toute seule, j’ai cru voir dans mon dos le regard de Méduse. Explorations qui éclatent la supercherie des catégories-monade, botaniques zoologiques chimiques physiques anthropologiques sociologiques sportives linguistiques culinaires vestimentaires… Anatomies métamorphiques, d’ingénieries archéo-crypto futuristes & tutti quanti, ce qui semble s’annoncer est en fin de compte une déroute, le grand œuvre est au saut du lit.

D’entreprendre de temps à autre des raids dans les dépêches Reuters,  en retour ce codex si curieux rend à notre monde agonisant un peu d’air. Prémices, où la dernière pièce du puzzle effacera l’image ; sur la première plaquette cette citation d’ À la recherche du temps perdu : « fille orgiaq-ue surgie et devinée, le p-Remier jour, s-ur la digue de Balbec »(- À la recherche du temps perdu- II – À l’ombre des jeunes filles en fleurs, VI – Albertine disparue (la fugitive) – 1395 – Il n’y a pas une idée qui ne porte en elle sa réfutation possible : « En somme, si ce que disait Andrée était vrai, et je n’en doutai pas d’abord, l’Albertine réelle que je découvrais, après avoir connu tant d’apparences diverses d’Albertine, différait fort peu de la fille orgiaque surgie et devinée, le premier jour, sur la digue de Balbec  et qui m’avait successivement offert tant d’aspects, comme modifie tour à tour la disposition de ses édifices, jusqu’à écraser, à effacer le monument capital qu’on voyait seul dans le lointain, une ville dont on approche, mais dont finalement, quand on la connaît bien et qu’on la juge exactement, les proportions vraies étaient celles que la perspective du premier coup d’œil avait indiquées, le reste, par où on avait passé, n’étant que cette série successive de lignes de défense que tout être élève contre notre vision et qu’il faut franchir l’une après l’autre, au prix de combien de souffrances, avant d’arriver au cœur.»)

(2 commentaires)

    1. J’avais comme l’impression… Rossinante en est encore toute éreintée – Pourtant il neige et l’empereur va dormir, avant d’être chassé Diogène a toute une semaine pour éplucher les épluchures. Salut à vous !

      J’aime

Commentez ?

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.