Pourquoi sommes-nous, enfant, plus apte à croire que le monde humain est sérieux, mystérieux et joyeux ?
Pourquoi la bombe d’Hiroshima fut baptisée « Little boy » ? et pourquoi Fukushima, signifia « L’île du bonheur / De la fortune du bonheur » ?
La surprise, bonne, ou mauvaise, l’histoire en fait son sel, en joue, s’accommodant mal à se l’approprier et, quand son masque tombe, les fêtes finissent tard, c’est tout le langage qui maquille le meurtre. Le mur des lamentations en rajoute. Le dernier locuteur d’un peuple vaincu lègue un silence empesé.
Si la surprise dure, pour faire valoir son prix, autant la provoquer, choisir son camp, la rendre propitiatoire, s’assurer d’y tenir sa place, à titre de rachat d’en raconter l’histoire, et ce qui n’existe plus, ses petites gloires, les redire au plus possible, et en semer encore, jouer avec le hasard et ce qui se répète, s’assure, vous savez, se rassure, se répète, la bêtise est sans limite, agglutinante, les mirages des merveilles, les retrouvailles arrangées, on se plaît mieux de dos, quand on se dit au revoir.
En 1965, Chris Marker et Koumiko Muraoka, embarqués mi ensommeillés, mi réveillés ont tout le temps du film, un temps invisible, simple et double qui déambule, le début de journée en suspension encercle, le dénouant, l’hier soir. Ce qu’il apprend d’elle (de son Français au rêve lexicale Heian, de ses erreurs syntaxiques à « funny face » poudrées de subjonctifs incongrus) c’est la voie du chat. Alors quand le chat lui répond, Marker par la grâce de l’intelligence et de l’idiotie, se fait homme.
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« Marker pourra poser toutes les questions qu’il veut, Koumiko est une nature plus contemplative, sensorielle, que cérébrale. Et comme un haiku pour un non initié, elle lui échappera à chaque fois. Elle est à l’image de son pays : elle se montre, elle communique face à Marker, mais subsiste en elle une part impénétrable que le voyageur ne pourra déchiffrer. Ou alors, en y mettant de la distance. Koumiko se dévoilera bien plus face à son micro, en répondant au questionnaire que Marker lui a laissé avant de retourner en France. Il se dégage un certain charme, une certaine beauté de ses états d’âme. Mais ne sont-ils pas trop beaux ? Ne seraient-ils pas le fruit d’une volonté de se mettre à la hauteur de l’artiste en lui servant quelque chose qui lui plaira ? Avons-nous accès à la fin à sa véritable nature ou à une nature mystificatrice parce qu’elle vise à l’art ? Le Mystère Koumiko reste entier… »
« trop beaux » « le fruit » « mystificatrice » – Koumiko un mystère? que la forme et le fond coincident ? quel mystère? le fond n’ayant même plus à remonter à la surface — quel envers? quels soupçons? Koumiko, Marker, l’événement des jeux olympiques, la culture Paris, les supporters tels des masques Dogon, ou la houle des foules à Athènes du temps où l’insouciance et la passion étaient un art, une tour de Tokyo et le Big Quake, ce qui est muet, nuits jours qui s’étendent, apparaissent disparaissent, comme des lumières vues d’avion, l’étendue sans distance, une politesse à lui rendre
« Je vous écris tout ça d’un autre monde, un monde d’apparences. D’une certaine façon, les
deux mondes communiquent. La mémoire est pour l’un ce que l’Histoire est pour l’autre. Une
impossibilité. Les légendes naissent du besoin de déchiffrer l’indéchiffrable. Les mémoires doivent se contenter de leur délire, de leur dérive. Un instant arrêté grillerait comme l’image d’un film bloquée devant la fournaise du projecteur. La folie protège, comme la fièvre. J’envie Hayao et sa Zone. Il joue avec les signes de sa mémoire, il les épingle et les décore comme des insectes qui se seraient envolés du Temps et qu’il pourrait contempler d’un point situé à l’extérieur du Temps – la seule éternité qui nous reste. Je regarde ses machines, je pense à un monde où chaque mémoire pourrait créer sa propre légende. » (CM, Sans Soleil)