(…) de façon si lente et si peu suivie (…)

Un souvenir, un son, tombe entre les flocons. La neige parfois greffe et entrelace ses têtes glacées sur nos réminiscences, distille des oublis, déplace sans bruit des échos à croire, à sursauter, surprendre l’immobile, l’exaucer, le moduler. Hier des corbeaux ont surgis croassant dans la tempête de neige au dessus de moi, pris de cours dans la clairière, eux voguant d’un bout à l’autre à la nuit tombante — les anges se taillent de ces gueules, Feldman et sa musique, de loin en loin, fidèlement, que je quitte avant d’être lassé et retrouve au détour, dont ne reste que l’allure, un rythme qui rappelle les chemins animaux et nos pas moroses, sans direction, un rythme désaccordé avec des sons aux sources parfaites, une dissymétrie, des apparitions nettes sous le fruit d’anamorphoses en oasis. 

Guston "Friend - To MF"

Tu ne vois pas ses yeux qui te regardent très silencieusement derrière des verres de lunette épais comme un fond de bouteille, tu sais qu’avec lui inutiles sont les questions, tu t’amuses à répéter à suivre en boucle, Something Wild in the City (Mary Ann’s Theme), tu dors tu oscilles de la clarté à la visibilité que tu évites de confondre, la paupière des yeux se lève, le temps que met le son pour parvenir à l’oreille prend celui du lieu qui le reçoit, un pont sans rambarde tenu d’un temps non musical, que la musique prend en vol. La durée change, son avancée est matérielle, elle se rit de l’obstacle, longue odyssée, la ritournelle roule, se recompose à partir d’un horizon, le redessine encore, les silences livrent le cœur comme la pluie le gel le soleil font l’argile de l’argile. La plainte annule, le temps de sa reprise, la dette, le remord. Cl. Rosset te rappelle comme un mantra  « Sois ami du présent qui passe : le futur et le passé te seront donnés par surcroît ».  Neige en silence, ni bonheur ni honneur, ni course après le temps, ni débris, ni rampement, j’arrache ma manche à une ombre froide. Nostalgie, répétition, juxtaposition, le son naîtrait ex-nihilo du silence ? l’un l’autre en miroir à travers leurs oripeaux passeraient un pas de deux, du dehors au dedans. Le confident du son serait-il un fantôme? quelque chose d’autre fait le chemin. Pas étonnant que tu claudiques.

« Pour que l’art réussisse, son créateur doit échouer » M. F. « L’angoisse de l’art », in Écrits et Paroles, p.189-200


Ici Feldman, 123 textes, articles d’introduction, biographiques, écrits divers (…) « L’une de mes histoires préférées, est celle d’un jeune homme qui va voir un maître Zen ; il doit rester auprès de lui sept ans, je crois. Le maître Zen lui donne un balai et, pendant sept ans, on lui dit de balayer la maison. Il balaye donc la maison ; il est là, à un endroit, et le maître est à un autre endroit avec un sabre. Le gars est là avec son balai et le maître arrive par derrière en poussant un cri perçant, en hurlant, et le jeune homme soulève son balai. Après un certain temps, le jeune homme écoute et il entend le maître se déplacer là-bas ; il se retourne alors et attend. Ou bien, il le laisse passer et se tient dans un coin ; la faculté de se mettre à l’écoute lui vient lentement. Il s’en imprègne, vous voyez. Il passe ainsi maître dans toutes les nuances de l’écoute, de la préparation et du positionnement naturel du corps, et au bout des sept années, il monte en grade. On lui reprend son balai et on lui remet un sabre. »


Là  sur UbuWeb sound / ou ici Extrait d’une émission sur France Culture.

Morton Feldman’s ‘Three voices’.#1 First words


(3 commentaires)

    1. merci, ce lien éloquent entre Guston et Feldman For Philip Guston
      dont Feldman écrit: « La raison pour laquelle la pièce s’intitule For Philip Guston, c’est que, au cours des huit dernières années de sa vie, nous n’avons pas communiqué. Malgré cela, il avait demandé à sa famille – il savait qu’il allait mourir – de me prier de lire devant sa tombe le kaddish. Ce que j’ai fait. La seule et unique raison qui fait que nous n’avons pas communiqué, c’est que son oeuvre avait changé, et j’en étais bouleversé. Je suis allé dans une grande exposition pour voir ses nouvelles oeuvres ; je n’ai rien pu en dire alors que, depuis vingt ans, chaque oeuvre nouvelle m’avait toujours beaucoup excité (…) son oeuvre a commencé à changer, et lorsqu’il est venu à moi et m’a demandé : « Alors, qu’est-ce que tu en penses? », je suis resté silencieux pendant trente secondes, et cette demi-minute nous a coûté notre amitié.
      Puis finalement, j’ai constaté que moi-même je commençais à changer, comme lui ; à vrai dire pas exactement comme lui, mais encore assez pour que mes yeux déchiffrent ce qui se passait chez lui. Ce n’était pas simplement le changement apporté par le temps. Ce n’était pas que les temps devenaient quelque chose d’autre et que, en conséquence, je devais moi aussi changer (…) moi aussi je voulais commencer à écrire des pièces où j’arrêterais de poser des questions ; je voulais m’arrêter de me préoccuper du public, me demander s’il allait rester au partir, si quelqu’un voudrait me jouer ou pas, ce que celui-ci ou celui-là en pense… je ne voulais tout simplement plus de questions de qui que ce soit, à commencer par moi-même. Je ne voulais plus commencer avec une quelconque idée préétablie que j’aurais pu avoir. J’avais travaillé assez longtemps pour décider de cesser pareillement de poser des questions. » (Morton Feldman, Ecrits et paroles)

      1. Je ne connaissais pas du tout Philip Guston. Belle découverte grâce à vous !
        Je partage votre façon d’écouter Morton Feldman : laisser les sons nous parvenir, leur dénuement toucher en nous des fibres que nous ne soupçonnions pas, quitter Feldman, le retrouver plus tard, en l’écoutant de nouveau ou parce qu’il nous souvient quelques notes…

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