conquête

 

« Ils laissent la nature jeter sur eux une lumière favorable. Les caméras brillent comme l’aurore. Tout regard est fixé d’avance. Jamais ils ne sortent d’eux-mêmes et s’imaginent néanmoins conquérir, fût-ce des choses conquises de longue date : ils savent depuis toujours. Les regards des visiteurs s’entassent Et leurs opinions s’entassent sur le sol pollué, comme sur une assiette où le plat principal est noyé dans la sauce.

De même que sur l’écran leur image s’est substituée à eux, de même prétendent-ils se substituer au paysage. Plus ils veulent être à l’unisson de ce qu’ils voient, plus cela sonne faux. S’ils gênent, ce n’est pas parce que, s’interposant, ils barrent la vue, mais parce qu’ils ramènent tout ce qu’ils voient à une simple expérience. Ce qui était forêt devient image. Ce qui était montagne devient image. La nature devient objet. Elle devient plat du jour, et pourtant elle est ce qui se conserve. Elle n’est plus menace. Elle devient simple note sur le bloc d’un serveur, accommodée, garnie, garantie, servie. Oui ils voudraient bien qu’on nettoie la piste, là devant eux, sur laquelle ils ont projeté leur existence. Ils ne s’imaginent tout de même pas que quelqu’un va courir devant eux avec un petit balai, comme au curling. Afin que la piste sur laquelle ils se sont jetés reste glissante. À moins qu’il ne leur faille un tremplin haut dans le ciel pour bondir hors du commun. »

Totenauberg, Elfriede Jelinek (Ed. Jacqueline Chambon, p. 31-32)