dans notre âme il n’y a rien

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« Convenez que les écrivains géniaux ou simplement bons se reconnaissent à ceci: ils recherchent un but vers lequel ils nous entraînent; or ce but s’impose à tout votre être et vous obsède comme Hamlet le fantôme de son père. Les uns obéissent à des fins matérielles, tandis que d’autres ont un idéal plus élevé : Dieu, la vie d’outre-tombe, le bonheur de l’humanité, etc… Les meilleurs d’entre eux sont réalistes, mais en s’attachant à décrire la vie telle qu’elle est, leurs préoccupations spirituelles transparaissent au point d’idéaliser cette réalité et cela nous enchante. Quant à nous, nous nous contentons de peindre la vie telle qu’elle est sans porter de jugement sur elle. Même sous le fouet nous serions incapables d’avouer un but proche ou éloigné. Notre âme représente une table rase ; nous sommes sans opinion politique, n’espérons pas en la révolution, nous nions l’existence de Dieu, ne craignons pas les revenants. Pour ma part je ne redoute ni la mort ni la cécité. L’homme qui est sans désir, sans espérance et sans crainte n’a pas l’étoffe d’un artiste. Sommes-nous des malades ? Il importe peu, mais reconnaissons que notre situation n’est pas enviable. Qu’adviendra t-il de nous dans dix ou vingt ans ? Avant que les circonstances aient changé, il est illusoire de fonder sur nous des espérances. Avec ou sans talent nous écrivons machinalement, nous soumettant à un ordre établi, servi par les uns, brocanté par les autres. Grigorovitch et vous, me trouvez intelligent. Oui, je le suis du moins assez pour ne pas me leurrer sur mon mal et couvrir ma nudité de guenilles à la mode des écrivains de 1860. Je ne me jetterai pas comme Garchine dans la cage d’un escalier, mais je ne crois pas en un avenir meilleur. Je ne suis pas responsable de ma maladie et je n’ai pas à la traiter, car elle a sans doute sa raison d’exister. «Ce n’est pas en vain qu’elle est avec un hussard. – Pouchkine»  »

Lettre d’Anton Tchekhov à S. Souvorine 25 novembre 1892 (Melikhovo). In Correspondance II (1890-1896), Éd. Plon, 1956

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