Nous possédions en cet enfer les jours et les nuits. Nous étions des jours de faim et des nuits d’insomnie. Nous n’étions souvent que cela. Alors ceux qui nous quittaient attentaient à leurs jours et à leurs nuits. Ils n’entretenaient aucune abjecte illusion. Ou alors, ce qui les menait jusqu’au suicide était justement le poison des illusions. Je compris que la dignité, c’était aussi de cesser tout commerce avec l’espoir. Pour s’en sortir, il ne fallait plus rien espérer. Cette conviction avait l’avantage de ne pas appartenir à ceux qui nous avaient jetés là. Elle ne dépendait pas de leur stratégie mais uniquement de notre volonté : refuser de dépendre de cette foutue manie d’espérer.
L’espoir avait tout d’une négation. Comment faire croire à ces hommes abandonnés de tous que ce trou n’était qu’une parenthèse dans leur vie, qu’ils allaient juste subir une épreuve et ensuite en sortir grandis et meilleurs ? l’espoir était un mensonge avec les vertus d’un calmant. Pour le dépasser, il fallait se préparer quotidiennement au pire. Ceux qui ne l’avaient pas compris sombraient dans un désespoir violent et en mouraient.
(Tahar Ben Jelloun, Cette aveuglante absence de lumière. Ed. Points Seuil)
dans EN LISANT, Tahar Ben Jelloun, VITAMINES