Vite, vite avant que ça disparaisse; Philippe Jaccottet dans « Surpris par la nuit » reçu par Alain Veinstein le 12 février 2001
C’est le Tout-autre que l’on cherche à saisir. Comment expliquer qu’on le cherche et ne le trouve pas, mais qu’on le cherche encore? L’illimité est le souffle qui nous anime. L’obscur est un souffle; Dieu est un souffle. On ne peut s’en emparer. La poésie est la parole que ce souffle alimente et porte, d’où son pouvoir sur nous.
Toute l’activité poétique se voue à concilier, ou du moins à rapprocher, la limite et l’illimité, le clair et l’obscur, le souffle et la forme. C’est pourquoi le poème nous ramène à notre centre, à notre souci central, à une question métaphysique. Le souffle pousse, monte, s’épanouit, disparaît ; il nous anime et nous échappe; nous essayons de le saisir sans l’étouffer. Nous inventons à cet effet un langage où se combinent la rigueur et le vague, où la mesure n’empêche pas le mouvement de se poursuivre, mais le montre, donc ne le laisse pas entièrement se perdre.
Il se peut que la beauté naisse quand la limite et l’illimité deviennent visibles en même temps, c’est-à-dire quand on voit des formes tout en devinant qu’elles ne disent pas tout, qu’elles ne sont pas réduites à elles-mêmes, qu’elles laissent à l’insaisissable sa part.
Philippe Jaccottet, La semaison
Presque rien à voir (sinon un goût pour l’effacement, et la place donnée à Baudelaire) le nonchalant surfeur de la modélisation du monde, Michel Houellebecq à Bucarest, le 01.06.2012