voir, rêver

L’organique dessein de l’œil à éclairer un aspect du monde alors inconnu paraît aussi étrange que l’apparition du langage. La lumière du jour est plus vive que celle que nous recevons à sa surface émergée, dessous la réalité est mince, les sujets trop mobiles pour être comptés, les changements rapides au loin restent invisibles. En immersion tu suis la plupart du temps les boucles de rétroaction qui signent ton film intérieur, ton songe diurne de luciole.
Dans un état de rêverie mécanique aux logiques clandestines n’importe quel ensemble massif s’agrège, s’agence par routine, au sein duquel se repèrent surtout les détails qui semblent être ceux d’objets usuels, mais ceux-là exclusifs, de sa propre fabrique de rêve, dont les clefs ouvrent chaque porte des pièces perdues dans les couloirs, de rêves dont on est pas tout à fait revenus. Les incidents du jour cachent le panorama.
D’entières familles familières de souvenirs en rescousses s’arrangent à grandir ou diminuer tel détail. Notre extrême tolérance à l’égard de tout ce qui procure des plaisirs n’est à terme pas concluante. À s’y arrêter les détails logent rarement dans les souvenirs, mais dans des choses qui y ressemblent, les détails émergent plutôt des rêves sans que l’on sache d’où ils viennent, de replis insaisissables, de rapprochements impromptus, dont les fentes, en trompe l’oeil, signent notre engourdissement.

Robert Frank. Tunnel (vidéo fixe), couleur et noir et blanc, 4 minutes, 2005