À placer le langage dans la clarté, à observer sans comprendre les cadavres allongés à terre sous un merveilleux ciel qui tisse, orne, imperturbable, « le centre de l’univers », en « notre » univers comme des morts de faim à chercher croyances et subsides d’une famille antique, compilant les preuves, notre identité légataire, du trésor qui, à mesure que le temps passe prend toute sa valeur, une seconde et une vie entière ayant le même poids. « Être pour la destruction », supporté d’espérance. Le secret en fine fleur thésaurisée, la fraîche odeur saline d’un rêve totémisé, en nous transis gobant le silence.
Mais la fatigue venant utilement à l’insu, ce qu’il nous reste à croire nous accroche aux trois huit, à ce qui fait l’affaire, usine des relais : l’intelligence artificielle siège sur des normes fastidieuses, codifiant quelque chose vis à vis de quoi elle reste extraordinairement étrangère, son « langage » c’est à dire l’information produite sans rapport avec le « parler » en pourparlers, est une torture silencieuse séparant le bon grain de l’ivraie. La réalité du point de vue imaginaire, que la vie sociale et ses idéaux propriétaires s’occupent à briser, est une invention friable, un point de vue x comme échelle sur un appui bien solide, un concept outil, étranger à la trousse à outil, et pas de moteur à propulsion qui s’y prêterait. Aporie du langage – évincé sous le corset d’un usage juridique ou technique, d’une pensée soumise en pièces à conviction.
Arrêt, suspension du jugement, ou encore ce qu’indique Moshe Feldenkrais, à propos de la conscience; une pause entre la pensée (l’intention) et l’acte opéré. La périphérie n’est pas seconde, mais concomitante.
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(…) 非吹也, 言者有言, 其所言者特未定也 (…)
« (…) Parole n’est point que souffle, ce qui parle a quelque chose à dire, ce qui est dit n’est jamais fixe (…) »
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« Les hommes qui sont en quête du Dao 道 croient le trouver dans les écrits. Mais les écrits ne valent pas plus que la parole. Certes, la parole a une valeur. Ce qui fait son prix, c’est le yi 意, le « son de l’esprit ». Le yi 意, le « son de l’esprit », tend vers quelque chose, mais ce vers quoi il tend, la parole ne peut le communiquer. Pourtant, c’est pour ce « quelque chose » que les hommes accordent de la valeur aux mots et transmettent les livres. Tout cela, le monde a beau lui donner du prix, moi je trouve que cela ne le mérite pas, car ce à quoi on donne du prix n’est pas ce qu’il y a de plus précieux… » Zhuangzi chapitre XXVI
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« La figure, c’est ce qui manifeste le sens. Les mots, c’est ce qui explique la figure. Pour aller jusqu’au fond du sens, rien ne vaut la figure; pour aller jusqu’au fond de la figure, rien ne vaut les mots. La parole naît de la figure, aussi peut-on scruter le mots pour considérer la figure. La figure naît de l’idée, aussi peut-on scruter la figure pour considérer le sens. C’est la figure qui permet d’aller au fond du sens, ce sont les mots qui permettent d’éclairer la figure. Ainsi donc, les mots sont faits pour expliquer la figure, mais, une fois qu’on a saisi la figure, on peut oublier les mots. La figure est faite pour fixer le sens, mais, une fois qu’on a saisi le sens, on peut oublier la figure. C’est comme le piège dont la raison d’être est dans le lièvre: une fois le lièvre capturé, on oublie le piège. Ou comme la nasse, dont la raison d’être est dans le poisson: une fois le poisson attrapé, on oublie la nasse. Or donc, les mots sont le piège qui capture la figure ; la figure est la nasse qui attrape l’idée. Voilà pourquoi celui qui s’en tient aux mots n’arrivera jamais à la figure; et celui qui s’en tient à la figure n’arrivera jamais au sens. La figure naît du sens, mais, si l’on s’en tient à la figure, ce à quoi on tient n’est pas vraiment la figure. Les mots naissent de la figure, mais si l’on s’en tient aux mots, ce à quoi on tient ne sont pas vraiment les mots. Aussi, c’est en oubliant la figure que l’on arrive au sens ; et c’est en oubliant les mots que l’on arrive à la figure. L’appréhension du sens est dans l’oubli de la figure, et l’appréhension de la figure est dans l’oubli des mots. » Wang Bi, Zhou Yi lüeli, Remarques générales sur le Livre des mutations, chap. Ming xiang «Explication des figures hexagrammatiques».
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« Nous parlons de quelque chose, mais ce dont nous parlons n’est jamais déterminé. » Zhuangzi / chapitre 2
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« Le faisan picore tous les dix pas et boit tous les cents pas. Pour rien au monde il ne voudrait qu’on le nourrisse dans une cage ; car cela ruinerait sa vitalité ; d’ailleurs, « même si les génies [de la forêt] le prenaient pour roi, il n’en éprouverait nulle satisfaction ». (Zhuangzi, chapitre III, principes pour nourrir la vie 卷二上 第三 養生主, trad : Gao Heng)
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« Le langage a son prix, ce qui fait son prix, c’est l’intention. L’intention tend vers quelque chose, mais ce vers quoi elle tend, cela la parole ne peut le communiquer. » Zhuangzi / chapitre 13 (in Jean LÉVI, Les œuvres de maître Tchouang, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances)
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« Quand on façonne une roue, trop doux, il y a du jeu, trop fort, les pièces s’imbriquent mal. Ni trop doux ni trop fort, il faut l’avoir dans les doigts. L’esprit se contente d’obéir. Il y a dans mon activité quelque chose qui ne peut s’exprimer par des mots, aussi n’ai-je pu le faire comprendre à mon fils. J’ai soixante-dix ans bien sonnés et je suis encore là à •faire des roues en dépit de mon grand âge. » Chapitre XIII, p. 114, In Jean LÉVI, Les œuvres de maître Tchouang, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances).
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« Pour Zhuangzi, le langage ne peut rien nous dire sur la véritable nature des choses du fait que c’est lui qui pose non seulement les noms que nous donnons aux choses, mais dans le même temps ces choses elles-mêmes. En posant à la fois les « noms » et les « réalités », le langage n’est en fait qu’un découpage artificiel et arbitraire de la réalité, dont la vaine prétention à constituer sinon un moyen de connaissance, du moins une prise sur la réalité, éclate dans des affirmations du type « c’est cela » ou « ce n’est pas cela». Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Seuil, p. 120.
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On voit maintenant pourquoi le mot presque n’a pas le même sens selon qu’il s’agit des totalités sans mystère ou des totalités infinies […] Il en va bien autrement du presque-tout et du presque-rien des totalités ouvertes. Ici celui qui sait « presque tout » ne sait rien, et moins que rien, il n’en est même pas au commencement du commencement ! Ou plutôt, soyons justes ; ce presque-tout n’est pas rien-du-tout, n’est pas littéralement rien, mais il est, si vous voulez, comme rien, nihili instar ; de même que le fini s’annule auprès de l’infini, ainsi le savoir du presque-tout revient à zéro, tend vers zéro auprès de ce qu’il y aurait encore à savoir. Le Je-ne sais-quoi et le Presque-rien, t. 1, p. 54-5 Jankélévitch.
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Je sais le je-ne-sais-quoi par une science nesciente qui est prescience, une science moyenne ou dépareillée, toute semblable à la docta ignorantia de la théologie négative ; je sais ce que je ne sais pas et j’ignore ce que je pressens […]»(ibid., p. 61-62)
Roma… j’en suis bouleversé… merci !
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